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L’apport du droit OHADA au régime du nantissement des droits de propriété intellectuelle OAPI

Afrique - Autres organisations, Ohada
06/09/2017
Le droit OHADA apporte des précisions sur le régime du nantissement des droits de propriété industrielle, peu traité en droit OAPI, principalement s'agissant de la réalisation du nantissement. En revanche, des zones d'ombres demeurent lorsqu'il s'agit de sa constitution. Les explications d'Yvette Rachel KALIEU ELONGO, professeur agrégée de droit privé à l’Université de Dschang, Cameroun.

 

La législation OAPI (Organisation africaine de la propriété intellectuelle qui regroupe dix-sept pays africains) prévoit et réglemente, à travers l'Accord de Bangui révisé du 24 février 1999, différents droits de propriété intellectuelle tels que les brevets d’invention, dessins et modèles industriels, obtentions végétales, marques de produits et de services, modèles d'utilité, noms commerciaux, indications géographiques et schémas de configuration des circuits intégrés qui constituent les droits de propriété industrielle ainsi que les droits d’auteur et droits voisins. Ces droits peuvent faire l’objet de diverses opérations tels que les cessions et nantissements.

L’intérêt du nantissement – conventionnel ou judiciaire – qui consiste en l’affectation, en garantie d’une obligation, de tout ou partie de ses droits de propriété intellectuelle existants ou futurs est de permettre aux titulaires de ces droits de tirer profiter de la valeur économique qu’ils représentent.
 
L’Acte uniforme OHADA du 15 décembre 2010 portant organisation des sûretés (en abrégé AUS), n’avait pas, à l’origine, réglementé le nantissement des droits de propriété industrielle qui restaient régis uniquement par l’Accord de Bangui (Mamlan E., Le nantissement des droits de propriété industrielle : une sûreté pas comme les autres, Les mercuriales Info, n° 007, sept. 2012, p. 27). Pourtant, les dispositions contenues dans l’AB paraissaient insuffisantes pour régir cette sûreté considérée alors comme une sûreté spéciale. La réforme de l’AUS intervenue en décembre 2010 fait du nantissement des droits de propriété intellectuelle une sûreté de droit commun régie par les articles 156 à 161 de l’AUS. Ce faisant, le droit OHADA contribue au régime du nantissement des droits de propriété industrielle qui restait lapidaire en droit OAPI. Mais, si cette contribution est appréciable pour ce qui est de la réalisation du nantissement, elle est plus incertaine pour ce qui est de sa constitution.
 

L’apport discuté s’agissant de la constitution du nantissement

Qu’elle soit faite par le titulaire du titre ou d’un tiers, l’AUS soumet désormais la constitution du nantissement aux conditions qu’elle prévoit. Selon les termes de l'article 157, le nantissement des droits de propriété intellectuelle doit être établi par un écrit comportant certaines mentions énumérées à peine de nullité. Il s'agit de la désignation du créancier, du débiteur et du constituant le cas échéant, des éléments identifiant ou permettant de déterminer les droits apportés en garantie, des éléments permettant l'individualisation de la créance garantie (montant, durée, évaluation). Le contrat doit ensuite faire l’objet d’inscription au registre du commerce et du crédit mobilier (RCCM) pour être opposable aux tiers.
Il s’agit là de formalités communes à tous les nantissements. Or, le nantissement des droits de propriété intellectuelle– que l’Accord de Bangui dénomme encore gage – est soumis, en plus à des formalités particulières de publicité. C’est pourquoi l’AUS prévoit, en plus de l’inscription au RCCM, l’inscription de cette sûreté dans les registres spéciaux lorsqu’ils existent. Pour le cas des droits de propriété industrielle, des registres spéciaux sont prévus par les différentes annexes de l’Accord et ils sont tenus par l'OAPI pour l’inscription des différents titres (Kalieu Elongo Y.R., Droit et pratique des sûretés réelles OHADA, Presses universitaires d’Afrique, 2010, p. 125). Le droit OHADA ne semble pourtant pas en faire une formalité dont dépend la validité du titre.
On peut en effet s'interroger sur la valeur à donner à l’inscription et sur la portée de la publicité dans les registres spéciaux. Elles ne sont pas assurément des conditions de validité mais constituent-elles des formalités d'opposabilité ? L’AUS ne s’est pas prononcé sur cette question ce qui relativise quelque peu la portée des dispositions qu’il prévoit et ne donne pas une lisibilité des règles applicables à la constitution des nantissements de droit de propriété intellectuelle qui oscille entre droit commun et droit spécial.
En revanche, l’AUS est plus précis quant aux effets du nantissement.

L’apport certain quant aux effets du nantissement

L’un des intérêts de la réglementation du nantissement en droit OHADA est de préciser les effets de la sûreté qui ne ressortaient pas jusque-là de l’Accord de Bangui. L’AUS précise désormais les prérogatives du créancier nanti et détermine les conditions de réalisation de cette sûreté qui sont des conditions de droit commun.
Pour ce qui est des prérogatives, le nantissement confère au créancier le droit de suite qui lui permet de poursuivre son bien entre toutes mains et le droit de préférence comme en matière de gage. En cas de vente du titre nanti, le créancier bénéficiaire d'un nantissement est classé au 4e rang avec les créanciers gagistes et ceux bénéficiaires de privilèges généraux soumis à publicité.
Quant à la réalisation du nantissement, l’AUS prévoit qu’elle se fait suivant les conditions de droit commun c’est-à-dire comme en matière de gage. En cas de non-paiement de sa créance à l'échéance, le créancier nanti a le droit de faire ordonner par le tribunal la vente forcée du titre objet du gage. Il pourra ensuite exercer son droit de préférence sur le prix. Il peut également obtenir l’attribution judiciaire du titre après estimation faite par expert. Enfin, si le débiteur est un professionnel, il pourra convenir de l'attribution conventionnelle du titre.
Au-delà de la clarification amorcée du régime des nantissements de droit de propriété intellectuelle, les modifications opérées par la réforme de l’AUS devraient contribuer à l’attractivité de cette sûreté et à l’amélioration du crédit des titulaires de droits de propriété intellectuelle dans l’espace OAPI.
Source : Actualités du droit