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La répression des infractions au droit comptable et à l’information financière en droit OHADA : le reflux des souverainetés étatiques ?

Afrique - Ohada
23/10/2017
Faut-il punir un dirigeant pour avoir commis des fautes relatives au droit comptable et à l’information financière dans l’espace OHADA ? C’est aux États d’en décider, semble répondre le nouvel Acte uniforme relatif au droit comptable et à l'information financière (AUDCIF). Même si l’OHADA affiche une volonté globale de réprimer ces fautes, la politique criminelle en la matière est laissée à la discrétion des États. L'analyse d'Éric DEWEDI, agrégé de droit privé, Doyen honoraire à l’Université de Parakou, directeur du centre de droit économique de l’Université de Parakou.
L’affirmation d’une volonté générale de réprimer
Les sources du droit pénal sont gouvernées par le principe de la légalité criminelle selon lequel aucune infraction ne peut être poursuivie, aucune peine prononcée sans un texte qui en fixe expressément les limites. Il s’agit du principe « nullum crimen, nulla poena sine lege » (Pradel J., Principe de droit criminel, Droit pénal général, éd. Cujas, Paris 1999, p. 31 et s.). Ainsi, pour réprimer des infractions au droit comptable et à l’information financière, il faudrait au préalable qu’un texte de portée contraignante dans les États membres de l’OHADA déterminent les actes incriminés et les peines encourues par leurs auteurs. En d’autres termes, la répression de certains comportements reconnus dans la société incombe à la loi pénale. Il s’agit en principe d’une loi émanant d’une autorité étatique.

S’agissant du droit OHADA, il constitue un droit supranational. Conformément à son traité constitutif, il s’applique dans les États membres nonobstant des dispositions nationales contraires antérieures ou postérieures. Ainsi, en cas de conflit entre le droit OHADA et une loi d’origine interne, c’est le droit OHADA qui l’emporte. La question se pose dès lors de savoir dans quelle mesure les normes de l'OHADA réprimant certains comportements peuvent être appliquées dans les États membres. Plus précisément, il est important de déterminer d’abord dans quelle mesure le droit OHADA est une source du droit pénal dans les États membres de l’OHADA.

Deux situations sont envisageables. Soit le droit OHADA, en raison de son caractère supranational, s’applique directement dans les États membres quand bien même il prévoit des incriminations en matière pénale.  Ainsi, selon l’article 111, alinéa 1, du nouvel AUDCIF, « encourent une sanction pénale, les dirigeants d’entité au sens de l’article 2 du présent acte uniforme qui n’auront pas, pour chaque année d’exercice, dressé l’inventaire et établi les états financiers annuel, consolidé ou combiné ainsi que, le rapport de gestion et, le cas échéant le bilan social ; auront sciemment, établi et communiqué des états financiers ne donnant pas une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’exercice ».

Il apparait dans ce texte qu’il y a des incriminations relatives au droit comptable et à l’information financière dans l’espace OHADA. Les personnes qui peuvent répondre de ces infractions prévues par le nouvel Acte uniforme sont les dirigeants des entités assujetties au droit comptable et à l’information financière de l’OHADA. Comme le souligne le professeur Mouthieu (Actualité du droit, 15 juin 2017, Quelques innovations de l’acte uniforme relatif au droit comptable et à l’information financière du 26 janvier 2017, note Mouthieu M. A.), une entité est définie comme un ensemble organisé d’une ou plusieurs personnes physiques ou morales et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre. Les dirigeants des différentes entités concernées ont l’obligation d’établir et communiquer, sous peines de sanctions, les États financiers de leurs entités, mais aussi ils ont l’obligation de faire en sorte que ces états financiers donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et de résultat de l’exercice.

À l’analyse, le texte de l’article 111 ne semble pas être un texte suffisant pour réprimer les faits qu’il incrimine. Il y est juste mentionné pour les actes incriminés que les personnes qui sont visées par ces infractions encourent une sanction pénale. Aucune disposition des actes uniformes ne précise en quoi consiste ladite sanction. L’acte uniforme semble  exprimer une volonté de l’OHADA de voir réprimer ces actes et impose ainsi une certaine obligation à la charge des personnes visées par les incriminations relatives au droit comptable et à l’information financière dans les États membres de l’OHADA.

Cette obligation permet de garantir la sincérité des états financiers et constitue un gage de sécurité pour les membres actionnaires ou associés ou sociétaires selon les cas ainsi que les fournisseurs des différentes entités visées. Mais l’idée de punir pénalement les dirigeants soulève des questions quant aux effets de cette répression sur la rentabilité des différentes entités. Un dirigeant qui craint d’être réprimé ne serait-il pas enclin à prendre des décisions courageuses pour le développement de son entité ? Cette préoccupation justifie à bien des égards le renvoi que fait l’AUDCIF aux dispositions nationales de poursuite. 

Le renvoi aux dispositions nationales de poursuite
Le renvoi aux dispositions nationales de poursuite est l’une des caractéristiques du droit pénal des affaires dans l’espace OHADA (Diouf N., Actes uniformes et droit pénal des États signataires du Traité de l'OHADA : la difficile émergence d'un droit pénal communautaire dans l'espace OHADA, Revue burkinabé de droit, n° 39-40, n° spécial, p. 63, Ohadata D-05-41). La règle en la matière est fixée par le traité constitutif de l’OHADA en son article 5, alinéa 2, selon lequel : « Les actes uniformes peuvent inclure des dispositions d'incrimination pénale. Les États Parties s'engagent à déterminer les sanctions pénales encourues » (Traité relatif à l'harmonisation en Afrique du droit des affaires, 17 oct. 1993, révisé le 17 oct. 2008 à Québec). Ce faisant, le traité constitutif de l’OHADA ménage les fonctions régaliennes des États dans le domaine de la détermination des infractions et de leur répression.

C’est dans ce contexte que l’alinéa 2 de l’article 111 de l’AUDCIF prévoit que : « les infractions prévues par le présent Acte uniforme sont punies conformément aux dispositions du droit pénal en vigueur dans chaque État partie ». En application de cette disposition, le Bénin a adopté la loi n° 2001-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin. L’article premier de cette loi dispose que : « la présente loi a pour objet la prévention et la répression de la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin ». Cette loi dont l’objet est la répression et la prévention de la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin a d’abord réaffirmé ainsi sa portée territoriale. Mais en précisant que son objet est ainsi des infractions visées par elle en République du Bénin, elle laisse penser que la répression est encourue dès lors que l’infraction présente un lien avec le Bénin. Cette loi est donc applicable même si l’infraction présente un élément d’extranéité.

La situation dans lesquelles les infractions au droit comptable et à l’information financière peuvent présenter un élément d’extranéité soulève des difficultés quant à la possibilité et l’efficacité de la répression.

De façon pratique, ce renvoi aux dispositions nationales de poursuite comporte des risques d’un traitement disparate des infractions aux actes uniformes d’une manière générale et au droit comptable et aux informations financières en particulier. Dans les hypothèses où ce renvoi implique que les États membres devraient prendre des textes pour fixer les sanctions pénales aux incriminations prévues dans les actes uniformes, les incriminations prévues dans un acte uniforme se trouvent dépourvues d’effet sur le territoire de ces États tant que les peines encourues n’ont pas été déterminées.

Cette situation est diversement appréciée. Selon Isidore Miendjiem (La sanction pénale du dirigeant social en droit OHADA : que reste-t-il de l’idéal d’intégration juridique ? Actualité du droit, 4 juill.  2017), ce renvoi aux mesures nationales de poursuite pour la détermination des sanctions des incriminations aux droit des affaires met à mal l’idéal de la sanction pénale du dirigeant social en droit OHADA. Si une telle opinion est à bien des égards, acceptable, il reste à déterminer le mode sanction adéquate pour ces incriminations dans tous les États membres de l’OHADA de manière efficace. Car, en gardant leur pouvoir discrétionnaire de fixer les peines encourues aux infractions aux droit comptable et à l’information financière, les États membres mettent à mal leur politique criminelle en droit pénal des affaires de façon général surtout lorsque l’infraction présente un élément d’extranéité soit par exemple en raison de nationalité étrangère des coupables ou de l’éclatement de l’élément matériel de l’infraction sur le territoire de plusieurs États membres.

En effet au Bénin par exemple, s’agissant du droit comptable et de l’information financière, l’article 68 de la loi précise que l’infraction peut être commise par :
« 1 - les entrepreneurs individuels et les dirigeants sociaux qui n’auront pas, pour chaque exercice social, dressé l’inventaire et établi les états financiers annuels ainsi que, le cas échéant, le rapport de gestion et le bilan social.
2 - les dirigeants sociaux qui, en l’absence d’inventaire ou au moyen d’inventaire frauduleux, auront sciemment opéré entre les actionnaires ou les associés la répartition de dividendes fictives
 ».

L’article 69 ajoute que l’infraction peut être également commise par « les entrepreneurs individuels et les dirigeants sociaux qui sciemment, même en l’absence de toute distribution de dividende, auront publié ou présenté aux actionnaires ou associés, en vue de dissimuler la situation réelle de l’entreprise, des états financiers de synthèse ne donnant pas, pour chaque exercice, une image fidèle des opérations de l’exercice, de la situation financière et de celle du patrimoine de l’entreprise, à l’expiration de cette période ».

Au regard de ces dispositions, les infractions aux droit comptable et à l’information financière sont constituées même si les entrepreneurs individuels ou les dirigeants sociaux de nationalité étrangère, et exerçant leurs fonction d’entrepreneur individuel ou de dirigeants sociaux au Bénin auront commis les faits incriminés. Ils peuvent également être poursuivis si les actes constitutifs de l’infraction sont éclatés entre les territoire de plusieurs États dont le Bénin. La complexité de cette situation serait encore plus accentuée dans l’hypothèse où les sanctions encourues pour les mêmes infractions varient sur les territoires des différents États ayant un lien avec l’infraction.

En principe, l’efficacité des sanctions pénales aux incriminations relatives aux droit comptable et à l’information financière en droit OHADA doit être déterminée à partir de la finalité du droit comptable qui est de donner une image fidèle du patrimoine des entités assujettis. L’image fidèle du patrimoine d’une entité permet au plan fiscal d’établir la matière imposable. Elle est aussi importante pour les créaciers car elle garantit leur crédit. Et pour les membres, qu’il s’agisse des associés ou des sociétaires, elle est le gage de la sécurité et de fiabilité de leur investissement. Au regard de ces finalités, la politique criminelle de l’OHADA gagnerait à dégager des critères uniformes de la sanction aux différentes incriminations retenues à l’échelle communautaire OHADA. La fixation des peines encourues ne doit pas échapper à la nécessité d’une mesure uniforme.

La fixation des peines par les États
La fixation des peines par les États soulève aussi des questions spécifiques : faudrait-il donner priorité aux peines privatives de liberté ou aux peines pécunières ? Ou bien faudrait-il trouver une bonne articulation entre les peines pécunières et les peines privatives de liberté ?

Selon les tendances actuelles dans les normes internes de fixation des peines par les États, il y a une combinaison des peines privatives de liberté et des peines pécuniaires sous forme de peine d’emprisonnement et de peine d’amende.

Ainsi au Bénin, selon la loi n° 2001-20 du 12 octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin, les articles 68 et 69 prévoient selon les cas des peines d’emprisonnement allant de trois à dix ans et une amende pouvant aller de un million à vingt millions de francs.

On peut regretter que cette loi ne prévoie pas la possibilité d’une action en réparation civile complémentaire à la peine d’amende dans les hypothèses où un dirigeant social aurait dissimulé la situation comptable réelle de l’entreprise. De même, les peines privatives de liberté qui peuvent atteindre dix ans d’emprisonnement apparaissent un peu élevées. En effet, la peine d’emprisonnement de dix ans ne répare pas vraiment le préjudice que peut causer aux créanciers, aux associés ou aux actionnaires du fait de la dissimulation de la situation patrimoniale réelle de l’entité. Il conviendrait certes de prévoir des peines d’emprisonnement dissuasives, mais de prévoir des actions en responsabilité civile qui permettent d’assurer la réparation du préjudice qui pourrait découler des infractions au droit comptables et aux informations financières an droit OHADA. L’article 70 de la loi 2001-20 procède ainsi contre ceux qui, sciemment auront empêché un actionnaire ou un associé de participer à une assemblée générale. Selon ce texte « Encourent une peine d’emprisonnement de deux (02) mois à un (01) an et une amende de cinq cent mille (500 000) francs à cinq millions (5000 000) de francs ou l’une de ces deux peines seulement, sans préjudice des réparations civiles, ceux qui, sciemment auront empêché un actionnaire ou un associé de participer à une assemblée générale ». Le législateur béninois aurait bien pu prévoir cette action complémentaire en responsabilité civile dans les article 68 et 69.

Il est notable à ce jour que tous les États membres de l’OHADA n’ont pas encore adopté les peines encourues pour ces incriminations. Cette situation relance le débat sur la question de la détermination de la meilleure méthode par mettre en œuvre dans tous les États membres de l’OHADA, les incriminations visant à réprimer les fautes des dirigeants des entités assujetties aux droit comptables et aux informations financières dans cet espace.

Dans cette perspective, les doctrines de la défense sociale qui mettent un accent particulier sur la re-socialisation du délinquant (Ancel M., La défense sociale nouvelle, 3e éd., Paris, 1981) peuvent être une source d’inspiration enrichissante. En général, les auteurs des infractions aux droit comptable et à l’information financière sont principalement des dirigeants sociaux qui peuvent, en dépit de leurs comportement blâmable, rendre de grands services à la communauté. La condamnation de ceux à des peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix ans peut bien constituer une perte pour la société. Mais la loi ayant déjà prévu ces peines, c’est maintenant aux juges qu’il appartient de ne recourir à de longues peines que dans des cas de gravité particulière des comportements des délinquants.
Source : Actualités du droit