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La commercialité de l’accès aux ressources génétiques

Afrique - Ohada
03/01/2018
L’accès aux ressources génétiques vu sous le prisme du droit des affaires, met en présence des parties qui n’ont pas nécessairement la qualité de commerçant. Par conséquent, une telle opération, voire sa finalité, peut être commerciale ou non. Les explications de Monique Aimée MOUTHIEU épouse NJANDEU, agrégée des facultés de droit, Université de Yaoundé II-Cameroun.
Les ressources biologiques de la Terre sont primordiales pour le développement économique et social de l'humanité. De ce fait, il est de plus en plus admis que la diversité biologique est un atout universel, d'une valeur inestimable pour les générations présentes et futures. C’est fort de ce constat que la Convention sur la diversité biologique a été adoptée le 5 juin 1992 (Convention sur la diversité biologique, 5 juin 1992) au cours de la Conférence des Nations-unies sur l'environnement et le développement.
 
Cette Convention contient trois objectifs : la conservation de la diversité biologique, l'utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques. Un cadre pour la mise en œuvre du troisième objectif, en particulier l’accès aux ressources génétiques est évoqué en son article 15 (Convention sur la diversité biologique, 5 juin 1992, art. 15), sans un contour bien déterminé.
 
Depuis le 29 octobre 2010, ce troisième objectif fait l’objet d’un accord spécifique : le Protocole de Nagoya (Protocole de Nagoya, 29 oct. 2010) sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation. La thématique de l’accès aux ressources génétiques intéresse plusieurs disciplines du droit et en particulier le droit des affaires. En effet, le droit des affaires peut aborder l’accès aux ressources génétiques sous plusieurs angles, notamment celui de son entrée dans le circuit économique. En droit des affaires, se préoccuper de l’entrée d’une opération dans le circuit économique revient à s’interroger sur sa commercialité. En d’autres termes, l’accès aux ressources génétiques peut-il être considéré comme un acte de commerce ?
 
Pour répondre à cette question, il importe au préalable de comprendre le concept de l’accès aux ressources génétiques avant de s’interroger sur sa commercialité.
 
Le concept de l’accès aux ressources génétiques
 
Il convient de préciser que la législation sur l’accès aux ressources génétiques traite également du partage des avantages. Mais dans le cadre de cette réflexion, seul le volet accès aux ressources génétiques sera étudié.
 
Les ressources génétiques sont définies par l’article 2 de la Convention sur la diversité biologique (Convention sur la diversité biologique, 5 juin 1992 art. 2) comme le matériel génétique ayant une valeur effective ou potentielle ; le matériel génétique étant le matériel d’origine végétale, animale, microbienne ou autre, contenant des unités fonctionnelles de l’hérédité. Par conséquent, les ressources génétiques se définissent comme tout matériel d’origine végétale, animale, microbienne ou autre, contenant des unités fonctionnelles de l’hérédité qui possèdent une valeur effective ou potentielle.
 
Ainsi défini, le Protocole de Nagoya, en son article 6 (Protocole de Nagoya, 29 oct. 2010, art. 6) traite des questions de l’accès aux ressources génétiques en vue de leur utilisation. Cette utilisation peut être commerciale ou non commerciale. Les utilisateurs/demandeurs d’accès aux ressources génétiques se retrouvent dans différents secteurs, tels que les produits pharmaceutiques, les soins personnels et cosmétiques, la protection des semences et des récoltes, les végétaux et horticulture, la recherche et l’enseignement. Il en découle que les utilisateurs des ressources génétiques peuvent être les jardins botaniques, les laboratoires de recherche et développement pour l´industrie pharmaceutiques, cosmétiques ou autres, les producteurs agricoles, les collectionneurs (banques de micro-organismes ou autres), les universités et les centres de recherche.
 
L’accès aux ressources génétiques en vue de leur utilisation est soumis au consentement préalable donné en connaissance de cause de la partie qui fournit lesdites ressources ou à la partie qui les a acquises. On comprend dès lors que l’accès aux ressources génétiques s’opère entre un utilisateur qui peut être une entreprise commerciale ou non et un fournisseur qui peut être l’État, la communauté détentrice desdites ressources ou une partie qui les a acquises. De la qualité des parties et de l’utilisation, peut découler la nature commerciale ou non de l’accès aux ressources génétiques.
 
L’accès aux ressources génétiques, un acte de commerce en droit OHADA ?
 
S’interroger sur la commercialité de l’accès aux ressources génétiques revient à déterminer si une telle opération constitue un acte de commerce. En effet, l’article 3 de l’Acte uniforme OHADA portant sur le droit commercial général définit l’acte de commerce comme étant celui par lequel une personne s’entremet dans la circulation des biens qu’elle produit ou achète ou par lequel elle fournit des prestations de service avec l’intention d’en tirer un profit pécuniaire.
 
À la suite de cette définition, l’Acte uniforme cite certaines opérations qui peuvent être considérées comme ayant le caractère d’acte de commerce. A priori, cette définition qui se fonde aussi bien sur le critère d’entremise que sur celui de la spéculation, semble avoir occulté le critère de l’entreprise. Il n’en est rien. Même si on peut relever que les deux premiers critères ont vocation à embrasser l’ensemble des situations qualifiées de commerciales par le législateur et la jurisprudence, ils incluent de facto le critère de l’entreprise. À preuve, on le retrouve dans l’énumération de l’article 3 si bien que, in fine, on pourrait affirmer que même si un acte de commerce peut être fait à titre isolé, il serait « l’acte qui est fait dans l’exercice du commerce. C’est un acte professionnel ».
 
Au-delà de ces analyses théoriques, l’on peut questionner la commercialité de l’opération d’accès aux ressources génétiques, afin de la ranger dans une catégorie juridique précise (contrat, personne, etc.). Dans tous les cas, le questionnement peut être mené aussi bien en rapport avec la nature de l’utilisation des ressources qu’en rapport avec la qualité des parties prenantes à l’opération.
 
La question de la commercialité liée à la nature de l’utilisation
 
L’accès aux ressources génétiques peut être destiné à une utilisation commerciale ou non commerciale. L’accès peut aussi se faire à titre onéreux ou à titre gratuit.
 
L’utilisation est non commerciale lorsqu’elle est basée par exemple sur la recherche fondamentale. Dans ce cas, il n’y a pas la recherche du profit, et par conséquent absence de commercialité de l’utilisation.
 
Il peut aussi arriver que l’accès soit fait dans un but non commercial et que par la suite, la partie bénéficiaire change d’intention et poursuit une utilisation commerciale. Il convient alors de se poser la question sur la commercialité suite au changement d’intention.
 
L’accès à titre onéreux peut être considéré comme l’acte par lequel le fournisseur, commerçant ou non, reçoit quelque chose en contrepartie. Mais il ne suffit pas que le fournisseur reçoive quelque chose en contrepartie pour qu’il y ait commercialité de l’accès. Il faudrait en plus que la partie utilisatrice destine les ressources génétiques à des fins commerciales.
 
L’accès à titre gratuit, désignerait l’accès sans contrepartie en faveur du fournisseur. Encore une fois, la commercialité de l’accès dépendrait de l’utilisation qui en sera faite.
 
La question de la commercialité liée à la qualité des parties
 
Deux critères seront retenus dans ce cadre pour étudier la question de la commercialité : le critère de la personne de l’utilisateur et le critère du contrat entre le fournisseur et l’utilisateur.
 
En ce qui concerne le critère de la personne de l’utilisateur, l’article 3 de l’Acte uniforme portant sur le droit commercial général qualifie d’acte de commerce tous les actes effectués par les sociétés commerciales. Vu sous cet aspect, lorsque l’utilisateur est une société commerciale (par la forme ou par l’objet), que l’accès soit à titre gratuit ou à titre onéreux, il constitue un acte de commerce.
 
Les contrats passés entre commerçants pour les besoins de leur commerce constituent aussi une variété d’actes de commerce. À cet effet, si l’utilisateur et le fournisseur sont des commerçants et  que le contrat mettant à disposition les ressources génétiques est fait pour les besoins de leur commerce, alors ce contrat est un acte de commerce. En revanche, si seul l’utilisateur a la qualité de commerçant et que le contrat conclu l’a été pour les besoins de son commerce, il sera commercial pour l’utilisateur et civil pour le fournisseur. On sera alors en présence d’un acte mixte. Il en sera également ainsi si, bien que l’utilisateur et le fournisseur aient tous deux la qualité de commerçant, le contrat conclu par l’utilisateur n’a pas été fait pour les besoins de son commerce.
 
À la question de savoir si l’accès aux ressources génétiques constitue un acte de commerce, plusieurs scénarios ont permis de comprendre que l’accès aux ressources génétiques reste une question complexe quant à sa commercialité, étant entendu que l’opération met en présence plusieurs parties qui peuvent être des commerçants ou non. Lorsqu’elles sont commerçantes, le problème de la commercialité de l’opération peut se résoudre facilement si l’intention de commercialiser a été dévoilée au moment de l’accès. Mais lorsque l’intention de commercialité n’est pas dévoilée au moment de l’accès, et n’apparaît que secondairement, il devient difficile de déterminer sa commercialité. Par ailleurs, lorsque les parties en présence ne sont pas des commerçants, il s’ensuit que l’accès ne peut pas être considéré comme un acte de commerce.
Source : Actualités du droit