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Radioscopie de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives

Afrique - Ohada
09/03/2018
Les sociétés coopératives correspondent à un type spécifique d’organisation économique répandue dans le monde entier selon des principes identiques. L’importance prise par ces sociétés, dans un environnement économique caractérisé par l’intensification de la concurrence, appelait nécessairement une réforme. L’analyse de Monique Aimée Mouthieu Njandeu, agrégée des Facultés de droit, Université de Yaoundé II-Cameroun.
Des efforts entrepris à cet effet sur les plans nationaux (on peut citer par exemple la réforme opérée par la loi camerounaise n° 92/006 du 14 août 1992, portant organisation des sociétés coopératives et des groupes d’initiative commune  se traduisaient parfois en pratique par le manque de stratégies de compétitivité sur les marchés nationaux et internationaux (v. Nandjip S. épse Moneyang, Réflexion sur le cadre juridique des coopératives issues de la réforme de 1992, thèse, Université de Yaoundé II, 2003, p. 1).
 
Or, l’essor des coopératives couplé à l’explosion de l’activité de micro-finance (l’article 1er du Règlement CEMAC relatif aux conditions d’exercice et de contrôle de l’activité de micro finance définit la micro finance comme « une activité exercée par des entités agréées n’ayant pas le statut de banque ou d’établissement financier tel que défini à l’annexe de la convention de 1992 et qui pratiquent à titre habituel des opérations de crédit et/ou de collecte de l’épargne et offrent des services financiers spécifiques au profit des populations évoluant pour l’essentiel en marge du circuit bancaire traditionnel »), commandait la sécurisation de l’environnement économique. Cette opportunité de sécurisation a été entamée par le mouvement d’harmonisation et d’unification des systèmes législatifs nationaux à travers la mise en place progressive des Actes uniformes pris en application du traité instituant l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires). Mais leur application progressive a mis en évidence des problèmes spécifiques aux coopératives et l’inadéquation de certaines des dispositions des Actes uniformes avec la réalité des sociétés coopératives.
 
Intégrant ces constats, le 15 décembre 2010, les États-Parties au traité OHADA ont adopté à Lomé, l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives.
 
Présentation de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives
L’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives est applicable aux sociétés coopératives, unions de sociétés coopératives, fédérations de sociétés coopératives, confédérations de sociétés coopératives et leurs réseaux qui sont constitués sur le territoire de l’un des États parties (le délai d’harmonisation de deux ans avec les dispositions de cet Acte à compter de son entrée en vigueur est déjà dépassé).

Cet Acte comporte 397 articles répartis dans un chapitre préliminaire et quatre parties. Le chapitre préliminaire, consacré à son champ d’application, comprend trois articles (articles 1 à 3). La première partie, qui traite des dispositions générales sur la société coopérative, contient deux cent articles (articles 4 à 203) répartis dans huit titres et treize chapitres. La deuxième partie se rapporte aux dispositions particulières aux différentes catégories de sociétés coopératives ; elle comprend cent quatre vingt deux articles (articles 204 à 385) répartis dans deux titres et dix chapitres, consacrés à la société coopérative simplifiée et à la société coopérative avec conseil d’administration. La troisième partie, relative aux dispositions pénales, comporte deux articles (articles 386 à 387) tandis que la quatrième partie consacrée aux dispositions diverses, transitoires et finales, est constituée de dix articles (articles 388 à 397).

Cet Acte uniforme est une affirmation de la nature sui generis de la société coopérative définie en son article 4 comme « un groupement autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs, au moyen d’une entreprise dont la propriété et la gestion sont collectives et où le pouvoir est exercé démocratiquement et selon les principes coopératifs. La société coopérative peut, en plus de ses coopérateurs qui en sont les principaux usagers, traiter avec des usagers non coopérateurs dans les limites que fixent les statuts ». Il ressort de cette définition de la société coopérative, qu’elle est d’abord le fait des coopérateurs qui l’initient et dont les rapports doivent être organisés conformément aux principes coopératifs. Ensuite, elle constitue une entreprise susceptible de mener ses activités dans toutes les branches de l’activité humaine (Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives, art. 5) et intéresse à ce titre, les tiers et l’État. Pour la réalisation de ses objectifs, elle doit être juridiquement organisée et dotée de moyens financiers, matériels et humains.

L’esprit innovateur du législateur OHADA transparaît à cet effet dans les conditions rigoureuses de création et de fonctionnement. La constitution de la société coopérative met l’accent sur le respect des formalités y relatives (et dont les irrégularités sont sanctionnées), l’exigence des apports, le capital social, le règlement intérieur, l’accès de la société à la vie juridique, le sort de la société en formation ou constituée mais non encore immatriculée. Quant au fonctionnement de la société coopérative, il s’opère à travers les organes de gestion et d’administration, la collectivité des coopérateurs qui se retrouvent au sein des assemblées générales et la commission ou le conseil de surveillance.
 
Quelques signes d’essoufflement dans la législation OHADA des sociétés coopératives
L’avènement d’un Acte uniforme spécifique aux sociétés coopératives est à saluer car désormais, cette catégorie de société est soustraite de l’emprise de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique. Cependant, lorsqu’on prend connaissance de certaines dispositions de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives, l’on se rend compte que l’esprit innovateur du législateur OHADA est en perte de vitesse, mieux, est au ralenti. En effet, l’on peut se rendre compte qu’à travers la technique d’adaptation quelque peu maladroite de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique à la société coopérative, le législateur OHADA a trahi la nature « sui generis » de la société coopérative.

Si le caractère autonome de la société coopérative a été affirmé à travers les dispositions rigoureuses de constitution et de fonctionnement de cette forme de société, il convient de souligner qu’il se relativise fortement par la transposition des dispositions de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (ci-après AUSCG) aux sociétés coopératives tant au niveau de leur restructuration, dans le domaine de la liquidation que dans la sphère pénale.

En outre, le législateur OHADA est resté allusif sur plusieurs aspects de la vie de la société coopérative dans l’Acte uniforme qui lui est destiné au point où en définitive, ses dispositions sont inadaptées avec la réalité. Pour s’en convaincre, il suffit de faire observer que le caractère trop général ou restreint des dispositions de l’Acte uniforme adopté n’a pas permis d’appréhender l’environnement réel des sociétés coopératives mieux, de tenir compte des spécificités de la société coopérative. Elles présentent au final des faiblesses qui peuvent être relevées à travers l’absence des dispositions spécifiques aux sociétés coopératives d’épargne et de crédit, aux sûretés, au recouvrement des créances et du défaut de prise en compte des valeurs coopératives dans le régime du boni de liquidation.
 
Au demeurant, les résultats d’une radioscopie approfondie de la législation ohadienne des sociétés coopératives invitent à penser que cette dernière a le mérite d’exister eu égard aux spécificités pertinentes qu’elle consacre. Cependant, les faiblesses qui y ont été décelées pourraient bien s’analyser comme des signes d’essoufflement du législateur OHADA (v. Mouthieu M. A. épse Njandeu, L’esprit innovateur du législateur OHADA au ralenti dans l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives, in De l’esprit du droit africain, Mélanges en l’honneur de Pougoué P.-G., Wolters Kluwer, CREDIJ, 2014, p. 501).
Source : Actualités du droit