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Regard sur les mandataires des procédures collectives OHADA

Afrique - Ohada
16/03/2018
Le droit OHADA n’a pas consacré la profession de mandataires judicaires à l’image du droit français. Pourtant, il organise pourtant les fonctions des différents organes non judicaires qui interviennent dans les procédures collectives spécialement les syndics et experts que le nouvel acte uniforme regroupe sous la qualification de mandataires judiciaires. L’adoption de cet Acte uniforme le 10 septembre 2015 a été l’occasion de l’uniformisation du statut de ces mandataires. On peut néanmoins constater que cette uniformisation est inachevée. L’analyse d’Yvette Rachel KALIEU ELONGO, professeur agrégée de droit privé, Université de Dschang, Cameroun.

L’uniformisation recherchée

Cette uniformisation passe d’abord par l’introduction de la notion même de mandataires judiciaires dans l’Acte uniforme. En effet, jusqu’à son intervention, divers organes jouaient le rôle de mandataires en particulier celui du syndic sans pour autant être qualifiés comme tels. On assistait à une diversité d’appellations : liquidateur, syndic liquidateur ou encore curateur dans le cas de la RDC.

La catégorie des mandataires judiciaires telle que consacrée regroupe l'expert au règlement préventif et le syndic des procédures de redressement judiciaire et de liquidation des biens à l’exclusion du conciliateur. L’uniformisation du statut des mandataires est réalisée sur plusieurs points. On assiste ainsi à une normalisation des conditions d’accès et d’exercice des fonctions de mandataires, à l’encadrement de leur rémunération et à l’uniformisation de leur régime de responsabilité.

La normalisation des conditions d’accès et d’exercice des fonctions de mandataires.- L'exercice des fonctions de mandataire judiciaire est désormais subordonné à l'inscription sur la liste nationale des mandataires judiciaires. L'article 4-1, alinéa 2, prévoit cependant qu'à titre exceptionnel, le tribunal peut désigner une personne non inscrite. Les experts-comptables, s'ils remplissent les autres conditions sont d'office habilités à exercer la fonction ce qui n'est pas le cas pour les autres professionnels qui doivent être préalablement habilités.
 
À la qualification s’ajoutent la capacité, la probité et la moralité qui sont des exigences minimales pouvant être complétées éventuellement par la législation nationale de chaque État. Des règles d'incompatibilité sont prévues qui prennent en compte les liens de parenté ou d'alliance mais aussi les conflits d'intérêts éventuels. Ces exigences sont renforcées par l'obligation de prêter serment préalablement à l'entrée en fonction.
 
Ces règles propres à l’accès et l’exercice sont complétées par l’encadrement de la rémunération des mandataires.

L'encadrement de la rémunération des mandataires judiciaires.- L'acte uniforme encadre les rémunérations dans leur montant et les conditions de leur paiement. Il précise d'abord que les mandataires judiciaires sont rémunérés sur le patrimoine du débiteur et que cette rémunération est exclusive de toute autre rémunération et remboursement de frais pour les mêmes diligences. Il précise ensuite les modalités de cette rémunération qui varient en fonction des procédures.

Les décisions relatives à la rémunération des mandataires sont susceptibles d’appel devant la juridiction compétente dans les quinze jours de leur prononcé à la requête du débiteur, du mandataire judiciaire ou du ministère public.
 
L’uniformisation du régime de responsabilité des mandataires judiciaires.- Les mandataires judiciaires, qui exercent leurs fonctions sous le contrôle des autorités nationales, engagent leur responsabilité tant sur le plan disciplinaire que sur les plans civil et pénal. En premier lieu, ils peuvent subir différentes sanctions disciplinaires telles que : l'interdiction provisoire d'exercer l'activité, l’avertissement, le blâme avec inscription au dossier, la suspension d’exercer pour une durée maximale de trois ans, la radiation de la liste nationale des mandataires judiciaires emportant interdiction définitive d’exercer.

Ces sanctions sont notifiées au mandataire judiciaire concerné ainsi qu’à certains organes désignés par le texte. Sur le plan civil, les mandataires sont responsables à l’égard du débiteur, des créanciers et des tiers. L’action en responsabilité civile relève de la juridiction compétente en matière des procédures collectives du lieu où le mandataire est établi. Pour couvrir leur responsabilité civile professionnelle et garantir la réparation des préjudices nés de l’exercice de leurs fonctions, les mandataires doivent obligatoirement souscrire une assurance auprès d’une compagnie d’assurance régulièrement agréée. Sur le plan pénal, en plus des infractions prévues par l’acte uniforme, il faut ajouter certaines infractions prévues par chaque législation nationale.
 
Malgré son importance, l’uniformisation du statut des mandataires paraît inachevée.

Une uniformisation inachevée
Sur plus d’un point, l’uniformisation du statut des mandataires n’est pas totale. Il faut d’abord relever la latitude laissée aux États dans la mise en place d’une autorité nationale de contrôle des mandataires. Tel que rédigé, l’article 4 AUPCAP suggère une intervention simplement facultative des États parties dans l’encadrement des autorités nationales. Pourtant, l’autorité nationale est indispensable dans le processus d’encadrement et partant d’assainissement des mandataires. Elle a en charge leur agrément, la fixation de leur rémunération et la mise en œuvre éventuellement, à leur encontre, des sanctions disciplinaires. Aucun délai n’a été imparti pour la mise en place de cette autorité. À ce jour, seuls quatre États membres sur les dix-sept sont déjà intervenus pour mettre en place l’autorité de contrôle : Côte d'Ivoire, Sénégal, Burkina Faso et Mali.

Quand bien même l’autorité serait mise en place, le risque de disparités dans les différents statuts est à craindre relativement à la qualité et au nombre de membres, aux procédures de désignation des mandataires (critères ou exigences supplémentaires imposées en matière de qualification, d’ancienneté, d’incompatibilité, etc.). Tout cela pourrait être préjudiciable à la cohérence recherchée.

L’uniformisation du statut des mandataires connaît ensuite un léger frein avec la compétence exclusive des  États dans la fixation du barème de rémunération. Les articles 4-16 et suivants prévoient une rémunération pour les services rendus. Cette rémunération varie en fonction du rôle du mandataire (expert en règlement préventif, syndic de redressement ou de liquidation) et est fixée par le juge. Mais celui-ci, est limité dans son imperium par l’obligation de respecter le barème national qui doit être fixé réglementairement par chaque État partie. Or, peu d’États ont déjà fixé ce barème. Tant que le barème national n’est pas fixé, il est à craindre que les juges, pour ne pas paralyser les procédures, continuent à fixer à leur gré les rémunérations ce qui est loin de l’objectif recherché. On peut au moins espérer qu’ils s’inspireront de plus en plus des éléments de rémunération proposés par l’Acte uniforme et qui sont susceptibles de servir de boussole.

Enfin, la mise en œuvre de la responsabilité disciplinaire des mandataires telle que prévue serait une compétence partagée entre les juges et les autorités nationales de contrôle. Une lecture rigoureuse de l’acte uniforme amène à dire que la compétence de l’autorité nationale serait concurrente à celle de l’autorité judiciaire. Pourtant certains États sont dans le sens d’une compétence exclusive de l’autorité nationale. Les législations nationales qui ont été déjà mis en place les autorités nationales sont, du reste, allées dans ce sens en prévoyant dans les compétences de cette autorité, la mise en œuvre de la responsabilité disciplinaire des mandataires. Il faut se féliciter de cette option qui permet au moins de s’assurer que les sanctions disciplinaires, lorsqu’elles s’imposent, seront effectivement prononcées.

Le législateur aurait pu ou aurait dû faire un pas supplémentaire dans sa marche vers l’uniformisation du statut des mandataires judiciaires dans l’espace OHADA. En attendant, il est bon d’apprécier les efforts déjà faits et surtout espérer que les États accompagnent ce mouvement.
Source : Actualités du droit