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Le nouvel Acte uniforme OHADA sur la médiation et la pratique de la médiation dans l’espace OHADA : quels apports en pratique ?

Afrique - Ohada
20/03/2018
L’OHADA poursuit le renforcement de son arsenal législatif par l’adoption d’un Acte uniforme sur la médiation qui fait entrer ce mode alternatif de règlement des conflits dans les possibilités de règlement des contentieux d’affaire en Afrique. Les fruits porteront-ils la promesse des fleurs ? Éléments de réponse avec Eric Dewedi, agrégé de droit privé, directeur du Centre africain de droit économique, doyen honoraire à l’Université de Parakou.
Par un nouvel Acte du 23 novembre 2017 à Conakry, le Conseil des ministres de l’OHADA a adopté à l’unanimité, l’Acte uniforme sur la médiation (AUM). En son article premier, il définit la médiation comme « (…), tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel les parties demandent à un tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable d'un litige, d'un rapport conflictuel ou d'un désaccord (ci-après le « différend ») découlant d'un rapport juridique, contractuel ou autre ou lié à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou morales, y compris des entités publiques ou des États ».
 
Ce nouvel Acte uniforme entrera en vigueur le 15 mars 2018. Il importe alors d’analyser ce qu’il apporte à la pratique de la médiation, déjà ancrée dans le règlement des contentieux d’affaire, dans cet espace.
 
À l’analyse, il apparait que non seulement cet Acte uniforme consolide, de façon appréciable, des institutions et centres de médiation existants, mais encore, il uniformise, certes de façon restreinte, les règles et les principes de procédure de la médiation.
 
La consolidation appréciable des institutions et centres de médiation existants
Un geste appréciable qu’accomplit le nouvel Acte résulte de ce que l’on peut qualifier comme étant la consolidation des acquis en matière de médiation dans l’espace OHADA. Cette consolidation des acquis est notable d’une part du point de vue des hypothèses de mise en œuvre de la médiation et, d’autre part, des différents types de médiation.
 
S’agissant des hypothèses de mise en œuvre de la médiation, l’article premier de l’AUM en son deuxième paragraphe dispose que : « La médiation peut être mise en œuvre par les parties (médiation conventionnelle), sur demande ou invitation d'une juridiction étatique (médiation judiciaire), d'un tribunal arbitral ou d'une entité publique compétente. »
 
Il y a ainsi trois hypothèses dans lesquelles une médiation peut être mise en œuvre. Il y a d’abord l’hypothèse de la mise en œuvre de la médiation par les parties, et qui est qualifiée de médiation conventionnelle. Cette médiation conventionnelle se fonde sur la notion de convention qui, dans les États membres de l’OHADA, désigne tout accord de volonté tourné vers un effet de droit. Évidemment, il faudra veiller à ce que la volonté des parties de recourir à la médiation conventionnelle soit une volonté libre et éclairée. Cela signifie que la médiation ne doit pas être imposée à une partie faible. Cette situation est amoindrie dans la deuxième hypothèse de mise en œuvre de la médiation qui est celle de la médiation judiciaire.
 
Comme le précise le texte, il s’agit d’une médiation mise en œuvre sur invitation d’une juridiction étatique. La médiation judiciaire ne doit cependant pas être confondue avec l’hypothèse où, selon l’article 2 de l’AUM « un juge ou un arbitre, dans une instance judiciaire ou arbitrale, tente de faciliter un règlement amiable directement avec les parties ». Lorsque c’est le juge ou l’arbitre qui tente directement de faciliter un règlement amiable avec les parties, on n’est pas dans une l’une des hypothèses de médiation. L’article 2 de l’AUM l’exclut à juste titre de la médiation. En effet, dans l’hypothèse de la médiation judiciaire, le juge étatique ou le tribunal arbitral invite les parties à recourir à un tiers pour trouver elle-même la solution à leur litige. La médiation judiciaire est une hypothèse très intéressante dans laquelle les parties ayant saisi un juge étatique ou un tribunal arbitral, se réapproprient la procédure en trouvant, grâce au médiateur, la solution à leur litige. Cette médiation suspend le cours de la procédure devant le juge étatique ou devant le tribunal arbitral. L’article 4 de l’AUM précise dans ce sens que « Une juridiction étatique ou arbitrale peut, en accord avec les parties, suspendre la procédure et les renvoyer à la médiation. Dans les deux cas, la juridiction étatique ou arbitrale fixe le délai de suspension de la procédure ».  La juridiction étatique ou le tribunal arbitral fixe donc un délai aux parties pour la mise en œuvre de la médiation judiciaire certes, mais dans ce délai, les parties sont les maîtres de leur procédure. Évidemment si elles ne parviennent pas, pendant ce temps, à trouver la solution à leur différend, le juge ou le tribunal arbitral reprendra ses droits.
 
Enfin, la troisième hypothèse de mise en œuvre de la médiation que le législateur ne qualifie pas, mais qu’on peut désigner comme la médiation des entités publiques compétentes, est celle qui est mise en œuvre par toute entité publique compétente. Pour cette forme de médiation, le législateur n’a pas fixé de délais, mais on peut la considérer comme proche de la médiation conventionnelle et lui appliquer aussi les mêmes principes de suspension du cours de la procédure durant un délai raisonnable.
 
Dans l’une ou dans l’autre de chacune de ces trois hypothèses de médiation, les parties vont recourir soit à une médiation ad hoc ou à une médiation institutionnelle. En effet, selon l’article premier in fine de l’AUM, « la médiation peut être ad hoc ou institutionnelle ». En fixant ainsi ces deux types de médiation, le législateur consolide le travail de pionnier des centres nationaux de médiation dans l’espace OHADA.
 
L’un de ces centres les plus influents est le Centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation de Ouagadougou (Le CAMC-O). Selon les informations recueillies sur son site (https://camco.bf/), à la date du 10 mars 2018, le CAMEC-O a enrôlé au total :
- 265 dossiers en médiation pour une somme de 2024 milliards de FCFA en litiges ;
- 181 dossiers en arbitrage pour 246 milliards de FCFA en litige.
 
Ces informations montrent que le nombre de dossiers en médiation est supérieur au nombre de dossiers en arbitrage et que, de loin, le montant des sommes en litige dans les dossiers de médiation est de plus de huit fois supérieur est celui des dossiers en arbitrage.
 
Dans le même sens, on pourrait aussi mentionner d’autres centres très actifs en Afrique, tels que le Centre d’arbitrage, de médiation et de conciliation - CCIB, qui est un organe de la Chambre de commerce et d’industrie du Bénin, créé par le décret n° 2003-347 du 1er septembre 2003 portant approbation des statuts de la CCIB (v. http://www.ccibenin.org/index.php/services/accompagner/79-services-aux-entreprises/78-arbitrage-mediation.html). Il y a aussi la Cour d’arbitrage de la Côte d’Ivoire (CACI), qui offre une médiation contrairement à sa dénomination restreinte. (http://www.courarbitrage.ci/). De même aussi le Centre d'arbitrage et de médiation de Dakar (CAMC) pourrait être mentionné. Il a été constitué en 1998, est sous l'égide de la Chambre de commerce d'industrie et d'agriculture de Dakar et a été agréé par un arrêt du ministère de la Justice. Comme l’indique son site d’information, le CAMC est chargé d'organiser le règlement des litiges par le biais de modes alternatifs à la justice étatique que sont l'arbitrage, la médiation et la conciliation (v. http://www.intracen.org/Centre-dArbitrage-et-de-Mediation-de-Dakar/).
 
D’autres pays qui n’ont pas encore créé de tels centres sont en voie de le faire. On peut citer le cas du Cameroun où la Chambre de commerce, d’industrie des mines et de l’artisanat (CCIMA) du Cameroun a annoncé, en mars 2017, soit plusieurs mois avant l’adoption de l’AUM, la création du Centre d’arbitrage et de médiation dénommé Centre d’arbitrage et de médiation (CAM) de la CCIMA.
 
Cela témoigne de l’importance de la médiation dans le règlement des contentieux d’affaire dans l’espace OHADA. On peut donc prévoir que l’adoption du nouvel Acte uniforme va certainement accélérer la création de nouveaux centres de médiation.

Outre cela, un autre mérite de l’AUM serait aussi l’uniformisation, quand bien même elle apparaît restreinte, des règles et des principes de procédure de la médiation  
 
L’uniformisation restreinte des règles et des principes de procédure de la médiation
Au regard du nouvel acte uniforme, la médiation obéit à des principes directeurs qui sont en principe uniformes et qui s’imposent donc à tous les centres ou institutions de médiation dans l’espace OHADA.
 
L’article 8 de l’AUM, intitulé « les principes directeurs de la médiation », précise dans ce sens que : « Le médiateur et toute institution établie dans l'un des États Parties offrant des services de médiation adhèrent aux principes garantissant le respect de la volonté des parties, l'intégrité morale, l'indépendance et l'impartialité du médiateur, la confidentialité et l'efficacité du processus de médiation ».
 
Deux grands principes peuvent être dans cet ordre retenus : le principe de l’autonomie de volonté des parties et le principe de confidentialité. À ces deux grands principes, on peut ajouter les principes d’intégrité morale, d’indépendance et d’impartialité du médiateur qui traduisent quant à eux la lutte contre les conflits d’intérêt.
 
La mise en œuvre de ces différents principes, telle que prévue par l’Acte uniforme appelle des réserves, particulièrement sur l’importance du principe du contradictoire et la sanction des conflits d’intérêt.
 
Au sujet du principe de contradictoire, on note un amenuisement qui découle de l’article 10 de l’AUM. Selon ledit article, « Toutes les informations relatives à la procédure de médiation doivent demeurer confidentielles, sauf convention contraire des parties, à moins que leur divulgation soit exigée par la loi ou rendue nécessaire pour la mise en œuvre ou l'exécution de l'accord issu de la médiation. » et l’article 9 qui l’a précédé, de préciser expressément que : « lorsque le médiateur reçoit d'une partie des informations concernant le différend, il peut en révéler la teneur à toute autre partie à la médiation. Toutefois, lorsqu'une partie donne au médiateur une information sous la condition expresse qu'elle demeure confidentielle, celle-ci ne doit être révélée à aucune autre partie à la médiation ».
 
Si l’on peut comprendre la prudence qui s’impose ainsi au médiateur, on peut regretter que contrairement au but de la médiation, qui est de conduire les parties à trouver elle-même la solution à leur différend, une partie au conflit accepte une solution considérée comme amiable dans l’ignorance d’une information qui, si elle en avait connaissance, lui aurait permis de prendre sa décision en toute connaissance de cause. Cela, d’autant que le principe du contradictoire est l’une des garanties contemporaines d’une bonne administration de justice.
 
En ce qui concerne la sanction des conflits d’intérêt, l’AUM n’impose pas de réelles mesures coercitives au médiateur. L’article 10, sur le statut du médiateur dispose juste que : « Au moment de sa désignation, le médiateur confirme, dans une déclaration écrite, son indépendance et son impartialité ainsi e sa disponibilité pour assurer la procédure de médiation. Lorsque le médiateur révèle aux parties après sa nomination la survenance de circonstances nouvelles susceptibles de soulever des doutes légitimes sur son impartialité ou son indépendance, il les informe de leur droit de s'opposer à la poursuite de sa mission ». Le législateur OHADA semble ainsi laisser aux institutions et aux centres de médiation, la sanction des conflits d’intérêt et met un peu à mal l’œuvre d’uniformisation des règles et des principes directeurs de la médiation.
 
On ne peut qu’espérer de la part de ces centres une vigilance accrue pour sanctionner efficacement les conflits d’intérêt et faire de la médiation un mode crédible de règlement alternatif des différends d’affaire dans l’espace OHADA.
Source : Actualités du droit