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Incertitudes sur le régime de la vente internationale dans les pays de l’OHADA : à propos de l’adhésion progressive des pays de l’OHADA à la CVIM

Afrique - Ohada
27/03/2018
Les États parties de l’OHADA sont en train d’adhérer progressivement à la CVIM alors qu’il existe un droit OHADA de la vente applicable aux ventes internationales comme la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises. Il en résulte des conflits de normes aux solutions incertaines. L’analyse de G. Ngoumtsa Anou, agrégé des facultés de droit, professeur à l’Université de Perpignan Via Domitia, Centre de droit de la concurrence.
Le traité instituant l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) a été signé le 17 octobre 1993, puis révisé le 17 octobre 2008 (sur cette organisation, v. Ngoumtsa Anou G., Jcl. Droit international, Fasc. 170, OHADA-Présentation générale, LexisNexis, 2018). Antérieurement à la conclusion du traité originaire, un seul pays membre de l’OHADA avait adopté la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises (CVIM). Depuis lors, les pays de l’OHADA semblent vouloir adhérer à la CVIM les uns après les autres. Cette attitude crée une concurrence des normes dont les solutions restent à trouver.

La concurrence entre normes OHADA et CVIM
L’OHADA a un droit matériel applicable à la vente internationale de marchandises au même titre que la CVIM. La CVIM prévoit des règles substantielles applicables à une vente internationale de marchandises, définie comme une vente entre deux personnes ayant leurs établissements dans des États contractants différents (sur l’applicabilité de la CVIM, v. Ferrari F., La convention de Vienne sur la vente internationale et le droit international privé, JDI 2006, p. 27).

Parallèlement à ce droit, l’OHADA a élaboré un droit de la vente commerciale applicable à la fois aux ventes internes et aux ventes internationales. C’est ce que prévoit l’article 234 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général (AUDCG) : la vente est soumise à l’acte uniforme « dès lors que les contractants ont le siège de leur activité dans un des États parties » ou encore « lorsque les règles du droit international privé mènent à l’application de la loi d’un État partie ». Si les deux parties ont le siège de leur activité dans les États parties, le droit OHADA est applicable, y compris si les deux États parties différents sont en même temps signataires de la CVIM. Dans ce dernier cas, la CVIM a également vocation à s’appliquer selon son article 1er, alinéa 1-a. Si toutes les parties ou l’une d’entre elles ont leur siège à l’étranger, le droit OHADA est néanmoins applicable si le droit international privé du juge saisi désigne la loi d’un État partie de l’OHADA. Si cet État partie est signataire de la CVIM, sa loi désignée par le droit international privé est-elle celle issue de l’OHADA ou celle issue de la CVIM ?

Ces hypothèses montrent une concurrence normative évidente entre le droit OHADA et la CVIM (v. déjà Pougoué P.-G. et Ngoumtsa Anou G., L’applicabilité spatiale du nouveau droit OHADA de la vente commerciale et le droit international privé : une réforme inachevée, Mél. Jacquet J.-M., LexisNexis, 2013, p. 541). Curieusement, les pays de l’OHADA continuent à adhérer progressivement à la CVIM et sans réserve. Cela donne de plus en plus corps à ce problème : adhésion de la Guinée à la CVIM le 23 janvier 1991 ; adhésion du Gabon le 15 décembre 2004 ; adhésion du Bénin le 29 juillet 2011 ; adhésion du Congo le 11 juin 2014 ; adhésion du Cameroun le 11 octobre 2017.

Comment régler la concurrence des normes issue de cette ruée vers la CVIM ?

L’articulation envisageable
Plusieurs hypothèses sont à distinguer. Si les parties ont toutes deux leur établissement dans des États parties de l’OHADA, par exemple dans le cas d’une vente sénégalo-camerounaise, le droit OHADA prévaut, conformément à l’article 90 de la CVIM. Si une partie est établie dans un État OHADA signataire de la CVIM et l’autre partie dans un État tiers également signataire de cette convention, l’article 90 est inapplicable. La convention est applicable selon son critère autonome de l’article 1er, alinéa 1-a, et le droit OHADA l’est tout autant si la règle de conflit désigne la loi d’un État partie. On peut envisager de faire prévaloir la CVIM en partant de l’idée que la règle d’applicabilité autonome du droit uniforme comme celle de l’article 1er, alinéa 1-a, de la CVIM prévaut sur une règle de conflit. Mais cette solution est contraire à la lettre de l’article 234, alinéa 2 de l’AUDCG dont la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA (CCJA) est garante de l’application. On peut également s’appuyer sur le critère de la prestation caractéristique pour régler le conflit de normes. Le droit OHADA serait alors applicable si le vendeur, considéré comme le débiteur de la prestation caractéristique, a le siège de son activité dans un État partie de l’OHADA.

Enfin, si l’une des parties a le siège de son activité dans un pays de l’OHADA signataire de la CVIM et l’autre partie dans un pays tiers non signataire de la CVIM, il est possible que les règles du droit international privé désignent la loi d’un État partie. Il semble que dans ce cas le juge devra appliquer le droit OHADA de la vente en vertu de l’article 234 précité, sous peine de censure de la CCJA.
Source : Actualités du droit