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La pérennité des sociétés commerciales en droit OHADA à travers le changement de forme sociale

Afrique - Ohada
13/04/2018
Peu importe la nature des événements que traverse une société durant sa vie sociale, celle-ci peut évoluer grâce à l’existence de techniques de restructuration sociétaire. L’analyse de Aboubakar YAYA, maître assistant, Université de Parakou (Bénin).

La personne morale doit s’adapter aux fluctuations de la conjoncture économique. C’est dans cette optique que le législateur OHADA, en 2014, a facilité la vie des entreprises par la reconnaissance de « la restructuration sociétaire ».
 
La transformation d’une société est l’opération qui consiste à changer sa forme juridique, tout en maintenant inchangée sa personnalité morale. L’article 181, alinéa 1er, de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSCGIE), précise ainsi que la transformation est une opération par laquelle les associés ou actionnaires, ayant opté initialement pour une forme sociale donnée, dans les limites des prévisions légales, décident d’abandonner cette forme au profit d’une forme nouvelle mieux adaptée à leurs besoins actuels, choisie impérativement parmi les formes sociétales (Les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple, les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés anonymes et les sociétés par actions simplifiées) autorisées dans l’espace OHADA dont la liste exhaustive est dressée à l’article 6, alinéa 2.
 
Cette opération a deux objectifs fondamentaux : d’une part, elle permet à la société d’adapter sa structure à l’évolution de ses besoins et de ses stratégies de développement et, d’autre part, d’éviter à la société une dissolution.
 
Plusieurs restructurations qu’elles soient économiques ou juridiques (Auzero G., Les restructurations vues sous l’angle des prérogatives du comité d’entreprise : du légal ou conventionnel, Bull Joly 2006, n° 7, p. 867) sont à noter dernièrement : le lancement d’un programme national de restructuration des industries ivoiriennes et la restructuration de Blue Label Telecoms et Cell C en 2017 en Centrafrique. Au Bénin, on peut citer la restructuration de la société Bénin Télécoms services SA en 2015, de la restructuration de la société Libercom SA et la restructuration de la Société Nationale des Eaux du Bénin (SONEB) en 2016.Toutes ces restructurations visent l’efficacité de ces différentes sociétés, en procédant à la révision de leur cadre institutionnel et juridique.
 
Mais quelles sont les modalités liées à la transformation d’une société ? Quel est l’impact de la transformation sur certains intérêts catégoriels de la société, notamment les actionnaires, les salariés, les créanciers ?

 

L’encadrement de la transformation

La transformation intervient par modification des statuts. Le législateur OHADA a institué, à côté des règles communes à toutes les sociétés, des règles spécifiques à chaque type de société.
 
L’encadrement commun à toutes les sociétés commerciales.– À l’origine d’une transformation, on trouve avant tout, une modification des statuts décidée par la collectivité des associés, sans laquelle la conversion envisagée ne peut prendre naissance. La forme écrite est obligatoire. L’ensemble de ces règles constituent les conditions générales de fond et de forme qu’exige la loi. À cela, s’ajoute aussi de façon impérative la publicité. Cette dernière permet notamment d’informer les tiers et de leur rendre opposable l’opération (elle n’est pas destinée à faire acquérir la personnalité morale qui existe déjà). Elle est organisée par l’article 265 de l’AUSCGIE. Aux termes de cet article, la décision de transformation donne lieu à :

  • une insertion dans un journal d’annonces légales du département du siège social ;

  • un dépôt au RCCM de l’État partie du siège social, de deux (2) exemplaires du procès-verbal de l’assemblée ayant décidé la transformation, du procès-verbal de la décision ayant désigné les membres des nouveaux organes sociaux ;

  • un dépôt au greffe du tribunal de commerce, de deux exemplaires du procès – verbal de l’assemblée ayant décidé la transformation, du procès-verbal de la décision ayant désigné les membres des nouveaux organes sociaux, des nouveaux statuts. En cas de conversion en une des formes de sociétés par actions d’une société d’un autre type, il y a lieu de déposer également le rapport des commissaires à la transformation chargés d’apprécier la valeur des biens composant l’actif social et les avantages particuliers ;

  • une inscription modificative au RCCM.

Il faut retenir que la décision de transformation doit faire l’objet de trois mesures de publicité qui vont de l’insertion dans un journal d’annonces légales à une inscription modificative au RCCM, en passant par le dépôt au greffe du tribunal de commerce, de deux exemplaires du procès-verbal de l’assemblée ayant décidé la transformation, du procès-verbal de la décision ayant désigné les membres des nouveaux organes sociaux.
 
Sont également déposés au greffe, les nouveaux statuts, la déclaration de régularité et de conformité et, le cas échéant, deux exemplaires du rapport du commissaire aux comptes chargé d’apprécier la valeur des biens de la société. Enfin, si la société est propriétaire d’un ou de plusieurs immeubles soumis à la publicité foncière, la mention de la transformation doit être signalée au bureau chargé des hypothèques.
 
À ces conditions générales, qui doivent être appréciées au moment de la transformation de la société, s’ajoutent des conditions propres à chaque type de société.

L’encadrement spécifique à chaque société commerciale.- Les conditions imposées à la nouvelle forme sociale doivent être respectées. Cette opération suppose que la société remplisse toutes les conditions exigées pour l’adoption de la nouvelle forme (nombre d’associés, montant minimum du capital social, nomination d’un commissaire aux comptes, etc.).

 
Conformément au principe d’interdiction de l’augmentation des engagements des associés, toute transformation d’une société à responsabilité limitée en une société à responsabilité illimitée suppose l’unanimité des associés. Cette opération est soumise aux règles légales contenues dans les articles 181, alinéa 2, et 3et 265 AUSCGIE, ainsi qu’aux règles prévues par les statuts pour leur modification. Parce qu’elle modifie le pacte original (AUSCGIE, art. 12 ; c’est le contrat de société ou l’acte de volonté pour les associés uniques qui constitue le statut), elle doit donc être soumise à la procédure, sauf exception : majorité qualifiée ou unanimité. À ce titre, le consentement de tous est généralement requis (AUSCGIE, art. 72, al. 2). Les actionnaires, sous peine de nullité de l’opération, doivent avoir la capacité commerciale (AUSCGIE, art. 6 et s).
 
Concernant les sociétés anonymes, l’acte uniforme pose trois conditions : la société doit d’abord, avoir au moins deux (2) ans d’existence ; ensuite, elle doit avoir fait établir et approuver par les actionnaires le bilan de ses deux premiers exercices. On retrouve également cette exigence particulière d’ancienneté en cas de transformation d’une SARL en SA (AUSCGIE, art. 374). Il y a également le contrôle légal particulier qui est appliqué à quelques opérations de transformation. La décision de transformation prise par l’assemblée d’une SARL est précédée du rapport d’un commissaire aux comptes inscrit sur la situation de la société, à peine de nullité. Le législateur a institué cette étape dans le souci d’éviter la fraude qui consisterait, pour échapper aux formalités de constitution d’une SA, à constituer d’abord une SARL avant de la transformer ensuite en SA ; elle se comprend difficilement dans l’hypothèse de la transformation d’une SA en SARL ; et enfin, l’actif net de celle-ci doit être au moins égal au capital social (AUSCGIE, art. 690). Dans ce cas, la nomination d’un ou plusieurs commissaires est nécessaire.
 
La mutation en une des formes de société par actions d’une société d’une autre forme implique la vérification préalable par un ou plusieurs commissaires désignés, sauf accord unanime des associés, par décision de justice à la demande des dirigeants sociaux ou de l’un d’eux, de la valeur des biens constituant l’actif social et le cas échéant, des avantages particuliers consentis à des associés ou à des tiers. En droit français, ce commissaire doit attester dans son rapport que le montant des capitaux propres figurant au bilan de la société s’élève au moins au montant du capital social (C. com., art. L. 224-3). Si la société est déjà dotée d’un commissaire aux comptes, il n’est pas nécessaire de désigner un commissaire à la transformation. S’il existe des parts représentatives d’apports en industrie, la transformation ne peut avoir lieu qu’avec l’accord de leur titulaire, car l’impossibilité d’échanger les parts d’industrie contre des actions, entraîne leur exclusion pure et simple. Le contrôle légal est parfois renforcé par un contrôle judiciaire sur la conformité de la transformation à l’intérêt social. Sur le fondement de l’abus de majorité, les actionnaires minoritaires lésés par l’opération peuvent en demander l’annulation (les tribunaux ont notamment eu à se prononcer sur la validité de la transformation d’une SA en société en commandite par actions appelée société par actions simplifiée avec la réforme de 2014 (T. com. Lyon, 23 jan. 1995, Dr. soc,. mai 1995, n° 102, note Vidal)
 
Une fois consacrée et encadrée, la transformation dans sa mise en œuvre emporte nécessairement des conséquences juridiques.

Les incidences de la transformation

L’analyse des effets juridiques conduit à examiner d’abord les incidences de cette opération vis-à-vis de la société, ensuite à l’égard des personnes physiques.

Les incidences à l’égard de la société.– La transformation entraîne deux conséquences directes à l’égard de la société. Il s’agit notamment de la modification statutaire et du maintien de la personne morale de la société.

 
Le statut peut être un acte de volonté unilatéral pour les sociétés à associé unique (pour les sociétés unipersonnelles) ou un contrat de société pour les sociétés pluripersonnelles. Ce pacte original est susceptible de modification à toutes les phases de la vie des sociétés.
 
Selon l’article 13 de l’AUSCGIE, le statut doit mentionner la forme de la société (AUSCGIE, art. 6) ; la dénomination survie (AUSCGIE, art. 14), le cas échéant, de son sigle ; la nature et le domaine de son activité, qui forment son objet social (AUSCGIE, art. 19) ; son siège social (AUSCGIE, art. 23) ; sa durée (AUSCGIE, art. 28) ; l’identité des apporteurs en numéraire (AUSCGIE, art. 40, al 1er) avec, pour chacun d’eux, le montant des apports, le nombre et la valeur des titres sociaux remis en contrepartie de chaque apport ; l’identité des apporteurs en nature (AUSCGIE, art. 40, al. 2.), la nature et l’évaluation de l’apport effectué par chacun d’eux, le nombre et la valeur des titres sociaux remis en contrepartie de chaque apport ; l’identité des apporteurs en industrie (AUSCGIE, art. 40, al. 3), la nature et la durée des prestations fournies par chacun d’eux, le nombre et la valeur des titres sociaux remis en contrepartie de chaque apport ;l’identité des bénéficiaires d’avantages particuliers et la nature de ceux-ci ; le montant du capital social ; le nombre et la valeur des titres sociaux émis, en distinguant, le cas échéant, les différentes catégories de titres créées ;les clauses relatives à la répartition du résultat, à la constitution des réserves et à la répartition du boni de liquidation et les modalités de son fonctionnement.
 
Ce statut est susceptible de modification en cas du changement du gérant ou des dirigeants de la société, de modification de l’objet social, du transfert de siège social, de variation de capital social, de transformation de la société, etc.
 
La décision de modification du pacte appartient non aux dirigeants mais aux associés réunis en assemblée générale extraordinaire. Elle est un acte important qui nécessite l’accord des actionnaires ou associés. Cette modification est prévue par l’article 72 de l’AUSCGIE. En effet, celle qui découle de la transformation est consacrée par l’article 181 alinéa 2 du même acte uniforme. Après cette modification, la société procède par la suite à l’établissement d’un procès-verbal qui reprendra l’ensemble des articles du statut à modifier et leur rédaction. Certaines modifications de statuts peuvent parfois être indispensables non seulement pour une meilleure gestion de la société, mais aussi pour une pérennité de la société.
 
La transformation de la société est dominée par le principe du maintien de la personnalité morale. Par ailleurs, le principe du maintien de la personnalité morale en cas de transformation des sociétés a des exceptions. Aux termes de l’article 188 de l’AUSCGIE, « lorsque la société, à la suite de sa transformation, n’a plus l’une des formes sociales prévues par le présent acte uniforme, elle perd la personnalité juridique si elle exerce une activité commerciale ». Cela s’explique par le fait qu’une société commerciale perd sa personnalité morale au cours de la transformation, si elle adopte une nouvelle forme qui ne fait pas partir des formes sociales prévues par le législateur OHADA. Celle-ci est dépourvue de personnalité morale même en exerçant une activité commerciale. La personnalité d’une société disparaît lorsque la transformation modifie la nature même de la personnalité morale.
 
En dehors de ces conséquences internes, on note d’autres effets qui concernent les personnes physiques.

Les incidences à l’égard des personnes.–  Il s’agit ici d’aborder les effets de cette opération à l’égard des associés, membres de la société, organes de contrôle, et des tiers.

 
La transformation peut tout d’abord étendre les droits des associés. Ainsi de nouveaux droits sociaux peuvent être créés dès la date de transformation. Mais elle peut également aggraver la situation des associés. En effet, les associés ne sauraient puiser dans la transformation un moyen de limiter leur engagement aux dettes sociales déjà existantes.
 
Pour ce qui concerne les dirigeants sociaux de la société, la décision de transformation met fin automatiquement à leurs fonctions. Par conséquent, les éventuelles délégations de pouvoirs qu’ils ont préalablement signées deviennent caduques du seul fait de la transformation (note Bouloc B., JCP E 1987, n° 16342, n° 5, obs. A. Viandier et Causain J-J. ; RTD com. 1987, p. 396). Elles doivent être renouvelées, même si ces dirigeants exercent à nouveau leurs fonctions dans la nouvelle de forme de société.
 
Pour autant, ne constitue pas la preuve d’une intention malveillante, la perte des avantages subie par les intéressés en raison de la transformation. Dès la date du changement de forme sociale, les associés bénéficient de nouveaux droits sociaux qui, par le jeu de la subrogation réelle, prennent place des droits anciens. Ces droits sont dans le patrimoine des associés soumis au même régime que les droits anciens qu’ils remplacent. Ainsi, en raison de la transformation d’une SNC en SA, les actions attribuées en échange de parts propres, restent des biens propres (Cass 1re  civ. 27 mai 1968, n° 65-13.528, JCP 968, II, n° 15662 note Savatier). Par ailleurs, à compter de la décision de transformation, les associés sont pour l’avenir assujettis à toutes les règles de la société transformée. Si une SNC se mue en SA, ils bénéficient désormais d’une responsabilité limitée à leurs apports. En revanche, dans l’hypothèse plus rare du passage d’une SA en SNC, ils deviennent pour les dettes à venir, indéfiniment et solidairement engagés.
 
Concernant les organes de contrôle, cette mutation ne met pas fin aux fonctions des commissaires aux comptes quand les règles applicables à la nouvelle forme sociale exigent la désignation d’un tel commissaire. Le commissaire aux comptes reste en fonction à raison de l’homogénéité de la mission de contrôle légal, et du principe de continuité de l’exercice du contrôle.
 
Cette opération a également des incidences à l’égard des tiers.
 
La protection des tiers semble être assurée. La notion de tiers est entendue ici comme les différentes catégories de personnes (c'est-à-dire personne physique et personne morale) avec lesquelles la société entretient des relations, en l’occurrence les clients, les débiteurs, les fournisseurs, les sous-traitants, les banques, les salariés, le trésor public, les organismes de sécurité sociale, etc. Parmi ces tiers, ceux qui sont titulaires d’une créance à l’encontre de la société sont dans une situation particulière, dans la mesure où la transformation peut porter atteinte à leurs droits, même lorsqu’elle a pour unique but de rendre la société débitrice plus compétitive (Boureima Soumana S., thèse Bordeaux 2015, Protection des droits des créanciers dans les opérations de restructuration, p. 15). En effet, la transformation de la société ne devrait pas porter atteinte aux droits des tiers. C’est la même personne morale qui se perpétue ; les créanciers sociaux extérieurs à la transformation conservent, pour le paiement de leurs créances, les garanties et les recours dont ils bénéficiaient d’après la forme ancienne (en cas de transformation d’une SNC ou d’une SCS en SARL ou en SA, les anciens associés restent indéfiniment et solidairement responsables du passif social antérieur).La situation des créanciers antérieurs à la transformation n’est donc pas modifiée par l’opération.
 
Ainsi, les contrats de travail signés avant la transformation se poursuivent avec la même ancienneté pour leurs titulaires, car la personnalité morale subsistant, c’est la même société qui a qualité d’employeur.
 

Source : Actualités du droit