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La reconnaissance automatique des sociétés commerciales au sein de l’espace OHADA

Afrique - Ohada
18/04/2018
Le législateur communautaire de l’OHADA n’a pas expressément posé un principe de reconnaissance mutuelle par chaque État membre des sociétés constituées dans un autre État membre. Cependant, malgré l’absence de consécration textuelle, cette reconnaissance mutuelle des sociétés par les États membres est bien automatique dans cet espace communautaire africain. Les explications de Claude-Michel SANE, docteur en droit privé, élève avocat à l'EDASOP (Toulouse).
La reconnaissance des sociétés constituées dans un État membre est automatique dans l’espace OHADA parce que toutes les sociétés sont rattachées à titre principal à l’ordre juridique communautaire. Par ailleurs, il faut aussi noter que la transformation n’est pas une condition pour cette reconnaissance.
 
Une reconnaissance automatique découlant du rattachement principal des sociétés à l’ordre juridique communautaire
Dans l’espace OHADA, il n’y a pas de principe de libre établissement expressément consacré par le traité. De même, législateur communautaire n’a pas expressément posé un principe de reconnaissance mutuelle par chaque État membre des sociétés constituées dans un autre État membre. Cependant il y a bien un fondement à cette reconnaissance mutuelle des sociétés par les États membres.
 
Il apparaît que si elle ne résulte pas d’un principe de libre établissement ni d’une disposition expresse, la reconnaissance automatique des sociétés dans l’espace communautaire OHADA est liée à l’uniformisation du droit, autrement dit à l’intégration juridique elle-même.
 
En effet, quel que soit l’État membre où se situent leur siège, les sociétés sont soumises aux mêmes règles substantielles d’origine communautaire régissant la plupart des aspects de leur existence (de leur constitution à leur dissolution). C’est pourquoi nous pouvons dire que l’harmonisation, ou pour être plus précis l’unification du droit, noie les frontières et les dispositions nationales des États membres de l’espace communautaire OHADA et rattache les sociétés commerciales à l’ordre juridique communautaire, c'est-à-dire aux dispositions de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique. Les sociétés commerciales OHADA sont ainsi de réelles sociétés de droit communautaire.
 
En outre, le rattachement communautaire des sociétés dans l’espace OHADA est principal. En effet, dans le domaine du droit des sociétés, l’ordre juridique communautaire OHADA cohabite avec l’ordre juridique national des différents États membres. Les sociétés commerciales de l’espace OHADA ne sont pas soumises aux seules règles matérielles émanant l’ordre juridique communautaire. Elles sont aussi sous l’emprise de règles provenant de l’ordre juridique interne des États membres. En réalité toutes les branches du droit intéressant la vie des sociétés n’ont pas été unifiées dans l’espace OHADA. La fiscalité et la nationalité des sociétés, par exemple, restent toujours régies par des dispositions nationales. C’est ainsi que l’Acte uniforme renvoie à ces dispositions nationales lorsqu’il n’a lui-même rien prévu. Cependant, il faut relever que les dispositions internes ne viennent que compléter l’Acte uniforme pour les aspects qu’il n’aborde pas. Elles sont donc subsidiaires. Cela consacre alors un rattachement plutôt principal des sociétés commerciales à l’ordre juridique communautaire.
 
Les sociétés de droit OHADA étant rattachées principalement à l’espace communautaire, elles tirent donc leur personnalité morale de cet ordre juridique communautaire. Par conséquent, une reconnaissance dans ce même ordre juridique, quel que soit l’État membre où souhaite s’installer la société, ne posera alors aucune difficulté. Elle sera de plein droit. C’est comme s’il était demandé à l’ordre juridique français de reconnaître une SARL française déjà valablement constituée juste parce qu’elle transfère son siège dans un département où s’appliquent encore les dispositions françaises. Cette reconnaissance sera alors automatique.
 
Aussi, la lecture de l’article 199 de l’AUSCGIE nous permet-elle de dire que la reconnaissance mutuelle des sociétés commerciales dans l’espace OHADA est une évidence pour le législateur communautaire. En effet, cet article dispose que « la fusion, la scission et l'apport partiel d'actifs peuvent concerner des sociétés dont le siège social n'est pas situé sur le territoire d'un même État partie ». Or nous savons que pour qu’une fusion ou une scission transfrontalière soit réalisable, il faut une reconnaissance préalable de chaque société participante par l’ordre juridique de l’autre participante. Les fusions/scissions transfrontalières ne sauraient être réalisées qu’à la condition que les États de chacune des sociétés participantes reconnaissent l’existence des autres sociétés. Autrement dit, en préalable à la réalisation de l’opération transfrontalière, les sociétés participantes doivent être reconnues mutuellement comme personne morale par la lex societatis de leurs contractantes. C’est une nécessité, parce que les fusions et scissions sont des contrats. Par conséquent, pour qu’une société puisse y être partie, il faut que sa personnalité juridique soit reconnue par l’État membre de sa contractante. La reconnaissance mutuelle est alors un préalable à la réalisation de ce type d’opération. Ainsi l’Acte uniforme, en reconnaissant expressément aux sociétés de l’espace OHADA la possibilité de réaliser cette opération au niveau intracommunautaire, leur garantit indirectement leur reconnaissance préalable. C’est pourquoi il paraît improbable qu’un État membre puisse empêcher la réalisation d’une fusion intracommunautaire parce qu’il ne reconnaitrait pas préalablement la personnalité juridique de la société bénéficiaire dont le siège est situé sur le territoire d’un autre État membre. Ce refus serait une violation manifeste des dispositions communautaires. L’interprétation de cet article 199 nous permet donc de dire que l’Acte uniforme garantit la reconnaissance mutuelle des sociétés participant à une fusion intracommunautaire.
 
En définitive, la reconnaissance de la personnalité morale des sociétés établies dans un État membre est de plein droit dans l’espace communautaire OHADA. En effet, la société ne demande à un autre ordre que le sien de constater l’existence déjà acquise de sa personnalité juridique.
 
Il reste à souligner que la reconnaissance n’est, par conséquent, pas non plus conditionnée par une exigence de transformation intracommunautaire de la société.
 
Une reconnaissance automatique non conditionnée par la transformation intracommunautaire des sociétés
En pratique, la reconnaissance en cas de transfert de siège social doit permettre l’insertion de la société et son adaptation au droit de l’État d’accueil. Pour cela, la transformation est quasi systématiquement imposée à la société désirant se faire reconnaître par un État autre que celui de sa constitution. En effet, les formes sociales notamment ne sont pas communes à tous les États. Les sociétés qui désirent être reconnues dans un État autre que celui où elles ont été constituées doivent donc s’adapter pour pouvoir s’y intégrer.
 
Ainsi en droit français, par exemple, on peut très justement affirmer qu’ « il y a transformation lorsqu’une société transfère son siège social dans un autre État membre sans perte de sa personnalité morale » (v. Cozian M., Viandier A. et Deboissy F., Droit des sociétés, LexisNexis, 29e éd., 2016, n° 564).

Toutefois, dans le droit des États membres de l’espace communautaire OHADA l’unification du droit des sociétés commerciales dispense la société du passage systématique par la case transformation intracommunautaire dans le but de se faire reconnaître dans un autre État membre. En réalité, il n’y a nullement besoin de se transformer pour adopter une forme sociale connue par le droit de l’État membre d’accueil. Cela est dû au fait que la forme d’origine de la société émigrante existe de manière identique dans l’État membre d’accueil grâce à l’intégration juridique. En se constituant dans son État d’origine la société respectait déjà toutes les exigences posées par le droit de l’État d’accueil au point qu’aucune adaptation ne devient ainsi nécessaire. Par conséquent, on peut dire que le transfert intracommunautaire de siège social n’est plus étroitement et systématiquement lié à la transformation intracommunautaire dans l’espace OHADA.
 
Le fait que la transformation ne soit pas imposée à la société, mais puisse résulter simplement de ses besoins économiques, a une incidence bénéfique pour le coût d’une mobilité par transfert de siège social. En effet, la transformation, comme la plupart des modifications des statuts, a des conséquences fiscales qui peuvent être plus ou moins supportables. Elle peut entraîner la perception d’un droit lié au changement statutaire. De plus, certaines transformations, notamment celles qui modifient le régime fiscal de la société (transformation d’une société soumise à l’IR en société soumise à l’IS), équivalent fiscalement à une cessation d’activité (Sénégal, CGI, art. 34). Cela va alors rendre exigible les impositions liées à la dissolution, c'est-à-dire les plus-values latentes et les bénéfices en sursis.
 
En définitive, il apparaît que la transformation est une étape nécessaire lorsque l’État d’accueil et l’État d’origine ont des dispositions et des exigences différentes. Dans cette hypothèse, pour se conformer à sa nouvelle lex societatis, la société immigrante doit se transformer généralement pour adopter une forme sociale consacrée dans l’État qui va la reconnaître. Cependant, dans l’espace communautaire OHADA le régime juridique des sociétés étant unifié, la transformation ne peut pas être imposée à la société puisqu’elle est déjà à tout point conforme aux exigences de l’État membre d’accueil. Cela est bénéfique pour la mobilité intracommunautaire, car la transformation a un coût fiscal qui peut être dissuasif pour les sociétés qui désirent transférer leurs sièges sociaux.
 
Source : Actualités du droit