Retour aux articles

L’appréhension de l’affectio societatis à l’aune des articles 4 et 5 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique

Afrique - Ohada
04/05/2018
L’affectio societatis n’est pas une simple vue de l’esprit. Elle postule une communauté d’intérêts entre les associés et se matérialise par des actes concrets, comme l’explique Monique Aimée Mouthieu Njandeu, agrégée des facultés de droit, Université de Yaoundé II, Cameroun.
L’affectio societatis hante les relations entre les hommes depuis les temps immémoriaux, depuis qu’ils ont découvert qu’il était plus profitable d’œuvrer en commun que de rester isolés (Bermond de Vaulx (de) J.-M., Le spectre de l’affectio societatis, JCP E, I, 1994, n° 346, p. 183). Pour distinguer la société de l’indivision, les jurisconsultes romains exigeaient que les associés aient l’affectio societatis (Dig., 17, 2, fr. 32 cité par Serlooten P., L’affectio societatis, une notion à revisiter, Mélanges offerts à Guyon Y., Dalloz 2003, p. 1007). Cette expression est aujourd’hui couramment utilisée pour qualifier l’une des conditions de validité de la société. Dans ce sens, le législateur OHADA consacre l’affectio societatis comme une exigence du contrat de société en disposant à l’article 4, alinéa 2, de l’AUSCGIE que « la société commerciale est créée dans l’intérêt commun des associés ». Étant l’élément intentionnel du contrat de société, l’affectio societatis est une notion tout à la fois conceptuelle et fonctionnelle. Elle se présente comme une vue de l’esprit, à travers la volonté de s’associer ou de créer une société, et comme une communauté d’intérêts à travers la coopération des associés.
 
Une vue de l’esprit à travers la volonté de créer une société 
L’affectio societatis c’est la volonté de s’associer au sein d’une même société mieux, de créer une société. Elle correspond à un standard en ce qu’elle a la particularité de répondre à des critères variables laissés à l’appréciation du juge en fonction du rôle qu’il veut lui attribuer (Reboul N., Remarques sur une notion conceptuelle et fonctionnelle : l’affectio societatis, Rev. sociétés 2000, n° 3 p. 425).
 
La réalité de l’intention de s’associer (la circulaire du 15 septembre 1977 sur l’usage de la langue française propose de substituer l’expression « l’intention de s’associer à celle daffectio societatis »), la simplicité de l’expression militent en faveur d’une définition de l’affectio societatis qui convienne à la situation particulière des sociétés unipersonnelles (prévue à l’article 5 de l’AUSCGIE, la société unipersonnelle conçue par le législateur comme une société à part entière, doit remplir l’ensemble des conditions de validité de toutes les sociétés) et qui, en même temps, appliquée aux sociétés pluripersonnelles, conserve son utilité. Il est dès lors impératif d’avoir une conception assez large de l’intention de s’associer, de telle sorte qu’elle réponde à toutes les hypothèses tout en conservant son intérêt pratique (Serlooten P., L’affectio societatis, une notion à revisiter, in Mélanges offerts à Guyon Y., Dalloz, 2003, p. 1012).
 
À l’évidence, il faut rechercher une conception unitaire convenable pour toutes les situations de fait. Or, ces situations sont très variables : associé animé d’une volonté de collaboration égalitaire, associée bailleur de fonds, associé unipersonnel. C’est dire que pour être valable, la conception unitaire ne peut être que minimaliste. En se référant au sens littéral du terme, l’affectio societatis est la volonté de faire un contrat de société tel que défini à l’article 4 (1) de l’AUSCGIE (« la société commerciale est créée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent, par un contrat, d’affecter à une activité des biens en numéraire ou en nature, ou de l’industrie, dans le but de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui peut en résulter (…) ») ou plus simplement, l’intention de créer une société selon l’article 5 de l’AUSCGIE aux termes duquel « la société commerciale peut être également créée (…) par une seule personne, dénommée « associé unique », par un acte écrit ». L’affectio societatis est donc, par référence à la définition de la société, la volonté de chaque associé de créer la société en apportant des biens dans l’intérêt commun pour partager des bénéfices ou profiter de l’économie qui pourra en résulter. Cette définition de l’affectio societatis correspond à toutes les attitudes des associés, même à celle de ceux qui ne veulent faire qu’un placement (Bermond de Vaulx (de) J.-M., Le spectre de l’affectio societatis, JCP E 1994, I, n° 11, p. 185). Cependant, dans sa matérialisation, l’affectio societatis se révèle être plus qu’une intention de créer une société car elle suppose la volonté de coopérer.
 
 
Une communauté d’intérêts entre associés à travers la coopération
L’affectio societatis suppose la volonté de collaborer de manière égalitaire et dans l’intérêt commun. La préservation de cette communauté d’intérêts justifie l’interdiction des clauses léonines, l’attribution aux associés de droits de même nature et donc l’absence de lien de subordination, la possible sanction des abus de majorité, etc. À notre sens, l’intérêt commun va au-delà d’une simple vue de l’esprit qui se limiterait à l’existence de quelques dispositions légales relatives à l’exigence d’égalité entre associés. Elle doit se traduire par des actes concrets. Ainsi, a-t-on pu écrire que « l’intérêt commun implique un renforcement de l’obligation de bonne foi » (Hassler T., L’intérêt commun, RTD com. 1984, p. 630). La communauté d’intérêts rapproche les associés et pourrait être à même de diminuer entre eux le degré d’altérité. Elle invite à lever les barrières de la méfiance réciproque puisque les intérêts de l’un sont aussi ceux de l’autre. Comme elle oblige le plus souvent à une collaboration effective pour assurer le succès de l’entreprise commune, elle conduit les associés à mieux se connaître et les incite, dans une vision optimiste, à se faire davantage confiance (Stoffel-Munck Ph., L’abus dans le contrat, essai d’une théorie, LGDJ, Paris, 2000, n° 252, p. 218). (Ajouter ce qui suit en gras : L’affectio societatis implique donc la volonté manifestée par chaque associé d’être avec les autres et de participer de manière active à la gestion de la société. A ce titre, elle est à la fois un critère révélateur d’une société fictive (dans laquelle il n’y a pas de volonté de collaborer de manière égalitaire, pas de vie sociale, pas de cloisonnement entre le patrimoine de la société et celui du fondateur) et d’une société créée de fait (dans laquelle la collaboration à l’œuvre commune se fait sur un pied d’égalité).
 
Le contrat de société, paraît répondre à toutes ces caractéristiques. L’affectio societatis n’y est certes pas inspiré par l’amour de l’associé. Mais cela n’empêche pas qu’un semblant de fraternité doive exister parmi les associés, pour répondre à l’espoir de confiance que leur situation permet aux uns de mûrir envers les autres (Amiaud A., L’affectio societatis, Mélanges Simonius, 1955, p. 1 : L’affectio « exige d’eux une obligation de bonne foi renforcée, une sorte de fraternité »). La coopération à l’affaire commune, critère de cet affectio peut, lorsqu’elle est effective, s’ajouter à la communauté d’intérêts pour interdire une trop grande indifférence au sort d’autrui dans le cadre de l’exécution du contrat. En effet, cette coopération ou collaboration, traduite de nos jours par le vocable « solidarisme contractuel », n’est pas propre au contrat de société. Elle innerve désormais le droit commun des contrats (v. OHADA, avant-projet d’acte uniforme sur le droit des contrats et le projet de texte uniforme portant droit général des obligations dans l’espace OHADA de la Fondation pour le droit Continental). Elle conduit à relativiser la conception qui fait du contrat un instrument au service de l’intérêt propre, mieux, de l’intérêt égoïste des contractants, pour retenir que le contrat est un instrument au service de l’intérêt commun des contractants (v. Mouthieu Njandeu M.-A., La mutation fonctionnelle du lien contractuel, Revue togolaise des sciences juridiques, n° 0003, juil.-déc. 2012, p. 29).
 
En définitive, la définition simpliste de l’affectio societatis qui exclurait une possibilité de collaboration conviendrait davantage à une société unipersonnelle où l’intention de s’associer se définit comme l’intention de créer une société. C’est dire que l’associé unique doit avoir la volonté de faire vivre la société, de se comporter comme un associé. Cette volonté doit être celle de respecter l’objet social dans la gestion quotidienne et celle de veiller à éviter toute confusion entre les biens qui composent le patrimoine social et les biens personnels. Toutefois, transcendant l’intention de créer une société, l’affectio societatis se matérialise par une collaboration étroite des associés au service de la communauté d’intérêts qui les lie.
Source : Actualités du droit