Retour aux articles

Les sociétés d’économie mixte ne bénéficient plus de l’immunité d’exécution !

Afrique - Ohada
13/06/2018
Les biens propres des sociétés d’économie mixte ne sont pas couverts par le principe de l’immunité d’exécution. C’est à tort que les juridictions congolaises ont accordé le bénéficie de l’article 30, alinéa 1er, de l'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution (AUPSRVE) a une société anonyme dont le capital social est détenu à parts égales par des personnes privées et par l’État du Congo et ses démembrements.
C’est le sens d’un arrêt fort remarqué du 26 avril 2018, rendu par la troisième chambre de la CCJA dans l’affaire que nous appellerons « société les Grands Hôtels du Congo ».
 
Les faits sont les suivants : muni de la grosse du jugement RAT 16.367 du 21 février 2013 et de l’arrêt confirmatif RTA 7281 du 28 mai 2015 rendu par la cour d’appel de Kinshasa, le requérant, Monsieur Mbulu Museso avait fait pratiquer des saisies-attributions de créances auprès de différents établissements bancaires sur des comptes appartenant à la société anonyme dite « société des Grands Hôtels du Congo ».
 
Par ordonnance M.U. 095 du 2 septembre 2015, et sur contestation de cette dernière société, la juridiction présidentielle du tribunal de travail de Kinshasa/Gombe avait annulé lesdites saisies et ordonné la mainlevée de celles-ci, au motif que le débiteur saisi bénéficiait de l’immunité d’exécution prévue à l’article 30, alinéa 1er, de l’AUPSRVE. Dans un arrêt 5 novembre 2015, la cour d’appel de Kinshasa/Gombe avait confirmé ladite ordonnance.
 
C’est contre cette solution que le pourvoi a été introduit devant la CCJA par le créancier saisissant. Il reprochait aux juges du fond de qualifier la société des Grands Hôtels du Congo d’entreprise publique alors même qu’elle est une société d’économie mixte constituée sous forme de société anonyme et dont le capital est réparti entre des personnes privées et l’État congolais.
 
À la surprise générale, la haute juridiction OHADA abonde dans le sens du pourvoi et casse l’arrêt de la cour d’appel de Kinshasa, alors même que ce dernier n’avait fait que se conformer à la jurisprudence traditionnelle de la CCJA.
 
Le principe est désormais posé « les sociétés d'économie mixte sont des sociétés commerciales de droit privé et ne sauraient bénéficier de l'immunité d'exécution dont bénéficient les sociétés d'État tel que prévu par l'article 30 de l'AUPSRVE de l'OHADA ».
 
L’arrêt commenté a donné l’occasion à la CCJA de revenir sur sa jurisprudence antérieure très critiquée. Loin de déplaire, le revirement de jurisprudence opéré par cet arrêt, marque une évolution favorable à la sécurité juridique et propice aux investissements en Afrique.
 
Une jurisprudence antérieure très contestée
C’est dans un arrêt du 7 juillet 2005, n° 43/2005, que la première chambre de la CCJA avait jugé pour la première fois que les entreprises publiques bénéficiaient de l’immunité d’exécution quand bien même elles seraient constituées sous forme de personne morale de droit privé (CCJA, 7 juil. 2005, aff. A Y et a, c/ sté Togo Telecom, note Sawadogo M. F., La question de la saisissabilité ou de l'insaisissabilité des biens des entreprises publiques en droit Ohada ; à propos de l'arrêt de la CCJA du 7 juillet 2005, aff. A Y et a, c/ sté Togo Telecom, Penant, n° 860, juill.-sept. 2007, p. 305 ; recueil de Jurisprudence de la CCJA, n° 6, juin-décembre 2005, p. 25 ; Ohadata J-06-32). Les faits de l’arrêt sont assez similaires à ceux de l’espèce commentée.
 
En exécution d’un arrêt n° 27/03 du 10 juillet 2003 rendu par la chambre sociale de la cour d’appel de Lomé ayant condamné la Société Togo Telecom à leur payer la somme de 118.970.213 FCFA, les défendeurs avaient fait pratiquer « saisie attribution de créances entre les mains de divers établissements financiers de Lomé, sur les comptes de Togo Telecom ». Contestant cette saisie attribution, ce dernier avait assigné les créanciers poursuivants devant le président du tribunal de première instance de Lomé, pour en obtenir mainlevée. Par ordonnance n° 425/03 du 13 août 2003, le juge des référés du tribunal de première instance de Lomé avait fait droit à cette contestation et donné mainlevée de la saisie attribution de créances ainsi pratiquée. Cette mainlevée avait été confirmée par la cour d’appel de Lomé dans un arrêt n° 186/03 du 26 septembre 2003.
 
Les créanciers avaient alors saisi la CCJA. La question posée à la cour était celle de l’interprétation à donner à l’article 30 de l’AUPSRVE. En effet, l’article 30 AUPSRVE ainsi rédigé :
« L’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution.
Toutefois, les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission, donnent lieu à compensation avec les dettes également certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles, sous réserve de réciprocité.
Les dettes des personnes et entreprises visées à l’alinéa précédent ne peuvent être considérées comme certaines au sens des dispositions du présent article que si elles résultent d’une reconnaissance par elles de ces dettes ou d’un titre ayant un caractère exécutoire sur le territoire de l’État où se situent lesdites personnes et entreprises ».
 
Les demandeurs au pourvoi soutenaient que « l’alinéa 1er de l’article 30, qui ne précise pas les personnes bénéficiant de l’immunité d’exécution, ne fait qu’énoncer le principe général de droit selon lequel l’État et les personnes morales de droit public bénéficient d’une immunité d’exécution attachée à leur statut ». Le but de l’alinéa 2 de l’article 30 était simplement d’autoriser la compensation à l’égard de ces personnes. « Le fait que les entreprises publiques soient citées dans l’alinéa 2 de l’article 30, ne signifie pas qu’elles bénéficient automatiquement de l’immunité d’exécution ».
 
La société Togo Telecom, défendeur au pouvoir soutenait bien évidemment tout l’inverse. Selon elle, l’alinéa 1er de cet article 30 pose un principe d’immunité d’exécution qu’il atténue par « la possibilité d’opérer une compensation des créances » à l’égard de certaines sociétés d’État, nominativement citées en son alinéa 2. Le fait que l’alinéa 2 citait dans son énumération, les entreprises publiques, catégorie dans laquelle est classée l’intimée devait conduire à considérer que ces dernières bénéficiaient du privilège de l’immunité d’exécution. Seule la compensation pouvait de ce fait jouer contre elles.
 
Suivant ce dernier argumentaire, la CCJA avait d’abord déduit de l’analyse combiné de l’article 10 du Traité OHADA et de l’article 336 de l’AUPSRVE que « les dispositions de l’article 2 de la loi togolaise n° 90/26 du 04 décembre 1990, qui soustraient les entreprises publiques du régime de droit public pour les soumettre au droit privé, privent celles-ci notamment de l’immunité d’exécution attachée à leur statut d’entreprises publiques ». Ce faisant, « elles contrarient les dispositions de l’article 30 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, qui consacrent ce principe d’immunité d’exécution des entreprises publiques », avait conclu la Cour.
 

Cette décision laissait clairement entendre que le seul fait qu’une entreprise dans laquelle l’État détient des parts, soit soumise au droit privé ne suffisait pas à l’écarter du bénéfice de l’immunité d’exécution. C’est d’ailleurs ce qu’en avaient déduit les juridictions étatiques dont les décisions depuis lors, faisaient échos à l’arrêt Togo Telecom.

 
Trop souple, cette lecture de l’article 30 de l'AUPSRVE ne pouvait que contredire les objectifs du statut de « société d’économie mixte ». En effet, plongée dans la vie des affaires, la société d’économie mixte en accepte les règles et sa personnalité privée, clairement voulue par le législateur, l’expose aux conséquences de ce statut. Elle ne devrait donc pas pouvoir bénéficier de l'immunité d'exécution accordée aux personnes publiques. « En acceptant la sanction capitaliste, la société d’économie mixte se différencie nettement de l'établissement public industriel et commercial qui dispose toujours des prérogatives de protection publique même s'il est fortement engagé dans la vie commerciale » (Le Lamy droit public des affaires, 2017, n° 1494). C’est d’ailleurs ce qui explique qu’elle soit sujet aux procédures de redressement et de liquidation judiciaire. En France, la Fédération nationale des sociétés d'économie mixte estime la mortalité de ces sociétés à environ trente par an.
 
La doctrine OHADA de son côté, avait insisté sur le fait qu’il fallait distinguer « entreprises publiques » et « établissements publics ». Seuls ces derniers devraient bénéficier de l’immunité d’exécution (Sawadogo M. F., La question de la saisissabilité ou de l’insaisissabilité des biens des entreprises publiques en droit OHADA, D-07-16). D’autre part, les auteurs avaient attiré l’attention sur le fait que l’impossibilité pour les investisseurs de contraindre les entreprises publiques au paiement de leurs dettes ne pourra que les rendre réticents à s’installer dans l’espace OHADA (Onana Etoundi F., L’immunité d’exécution des personnes morales de droit public et ses applications jurisprudentielles en droit OHADA, Revue de droit uniforme africain, n° 000- 09/08/2010 ; Ohadata D-13-55).
 
Inquiet des conséquences que cela pourrait avoir sur l’environnement africain des affaires, le Professeur Michel Filiga Sawadogo, avait invité le législateur OHADA à une réécrire de l’article 30 de l’AUPSRVE afin de lever toute confusion entre les notions d’entreprises publiques et établissements publics. De son côté, Mr Jimmy Kodi, anciennement conseiller technique du président de la CCJA avait exhorté les plaideurs à suggérer à la CCJA un revirement de sa jurisprudence (Kodo M. J. V., Analyse du contentieux OHADA à travers le Code IDEF annoté, in L'effectivité du droit économique dans l'espace OHADA, sous la direction de Hiez D. et Menetrey S., L'Harmattan, 2016, p. 273).
 

L’intérêt suscité par l’arrêt Togo Telecom pouvait s’expliquer par le fait qu’il matérialisait l’une des rares fois où la CCJA a eu l’occasion de se prononcer sur des questions de fond. L’arrêt était d’autant plus intriguant qu’il statuait au détriment des objectifs de protection de l’investissement clairement affiché par le traité constitutif de l’OHADA.

 
L’évolution appelée de tous leurs vœux par les auteurs, devrait permettre à la jurisprudence de la CCJA de s’aligner sur la pratique internationale, pour laquelle l’immunité souveraine d’exécution bénéfice aux biens affectés à une activité de souveraineté ou de service public et non aux biens affectés à une opération de gestion privée. Elle distingue de ce fait, deux cas de figure : lorsque le débiteur est un État, ses biens sont présumés avoir une affectation publique. Cette présomption est toutefois simple puisque le bénéficiaire peut y renoncer (Cass. 1re civ., 14 mars 1984, Eurodif, JDI 1984, p. 594, note Oppetit B. JCP G 1984, II, n° 20205, note Synvet H.) La renonciation doit être expresse (Bissaloue S., La renégociation contractuelle en droit français et en droit de l’OHADA, thèse AMU, 2016, p. 220 ; Mouralis D., Arbitrage et fond souverain, in Les fonds d’investissement, (dir. T. Granier), Lamy Axe droit 2013, p. 221). La renonciation à l’immunité de juridiction n’emporte pas renonciation à celle d’exécution. La Cour de cassation française toutefois, a jugé que l’engagement d’un État à exécuter sans délai la sentence, selon les termes d’un règlement d’arbitrage, emporte renonciation de sa part à l’immunité de juridiction (Cass. 1re civ., 6 juill. 2000, D. 2000, IR, p. 253).
 
Ce premier point n’est nullement contesté par la CCJA. En ce sens, elle a jugé que les subventions allouées aux États sont également insaisissables (CCJA, 29 juin 2006, n° 011/2006, aff. Centre national de recherche agronomique dit CNRA c/ AFFE- CI sécurité, SARL ; v. égal. TR Niamey, ord. réf. n° 164, 7-8-2001, CMB c/I.B.A., Ohadata. J-02-37 reconnaissant l’immunité des établissements publics à caractère public ; TPI Deschang, ord. réf. 12/ORD, 11-9-2000, p. 14 Ohadata J-02-179 reconnaissant l’immunité à l’université de Dschang, au Cameroun ; ord. réf. n° 37, 28 janvier 2004 : SNEC SA c/D. J., SGBC SA Bafoussam, BICEC SA Bafoussam, Ohadata J-05-01 reconnaissant l’immunité d’exécution d’un établissement public dont l’État détient 94 % du capital social, v. TPI Bafoussam).
 
En revanche, si le débiteur est un organisme public distinct de l’État et si le bien fait partie d’un patrimoine affecté à une activité principale relevant du droit privé, il ne bénéficie pas de l’immunité d’exécution, sauf à ce qu’il parvienne à démontrer que son activité principale est publique et non privée (Cass. 1re civ., 1er oct. 1985, Sonatrach, JDI 1986, p.170, note B. Oppetit, JCP G 1986, II, n° 20566, note H. Synvet). C’est sur ce dernier point que l’arrêt Togo Telecom rompt avec la pratique internationale.
 
En dépit des critiques soulevées, la haute juridiction restera longtemps fidèle à cette jurisprudence. Ainsi elle a jugé qu’en application de l’article 30 de l’AUPSRVE, les entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission échappaient à l’exécution forcée et aux mesures conservatoires (CCJA, 2e  ch., 4 févr. 2014, n° 09/2014). Ce bénéfice devait s’appliquer tant aux sociétés détenues intégralement par l’État (CCJA, 1re ch., 18 mars 2016, n° 44/2016, société FER de Côte d'Ivoire) qu’aux sociétés à capital mixte (CCJA, ass. plén., 4 nov. 2014, n° 105/2014, AES Sonel Cameroun) quand bien même celles-ci auraient été constituées sous forme de sociétés commerciales.
 

Dans une autre affaire du 13 mars 2014 opposant le Port autonome de Lomé à 19 plaignants dont Mr Koutouati A. Akakpo Danwodina, la haute juridiction a jugé que l’immunité d’exécution devait être reconnue à l’entreprise publique, constituée sous forme de société commerciale quand bien la législation nationale de l’État ôte, la soumettait aux règles de droit privé (CCJA, 3e ch., 13 mars 2014, n° 024, P n° 022/2008/PC du 21 avr. 2008 : Koutouati A. Akakpo Danwodina et 18 autres c/ Société Togo-port dite Port Autonome de Lomé, Ohadata J-15-115).

Plus récemment, la première chambre de la CCJA a écarté l’applicabilité de la loi ivoirienne n° 97-519 du 4 septembre 1997 portant définition et organisation des sociétés d'État. Elle lui reprochait de soumettre le fonds d'entretien routier aux règles de droit privé et de ce fait, de le priver du bénéfice de l'immunité d’exécution prévue à l'article 30 de l'AUPSRVE (CCJA, 1re ch., 18 mars 2016, n° 044/2016, P. n° 153/2012/PC, 2 nov. 2012 : GNANKOU GOTH Philippe c/ 1 Fonds d'Entretien Routier dit « FER », 2 Société ECOBANK Côte d'Ivoire).

C’est donc avec surprise et soulagement qu’a été accueilli l’arrêt du 26 avril 2018 opérant un revirement de la jurisprudence Togo Telecom.

Un revirement bien accueilli

L'affaire portée devant la troisième chambre de la CCJA dans l’arrêt du 26 avril 2018, n° 103/2018 soulevait deux points essentiels. Le premier était de savoir si la détermination des entreprises bénéficiaires de l’immunité d’exécution relevait de la compétence de la CCJA ou de celle du droit interne de chaque État partie à l’OHADA. Le second point était celui des modalités de détermination des bénéficiaires de l'immunité d'exécution prévue à l'article 30 de l’AUPSRVE.
 
Sur le premier point, le défendeur au pourvoi avait soulevé l'exception d'incompétence de la CCJA au motif que le recours dont elle était saisie, était « en réalité dirigé contre une violation alléguée du droit interne de la République démocratique du Congo ; que la détermination des entreprises bénéficiaires de l'immunité d'exécution étant renvoyée au droit interne de chaque État partie de l'OHADA, la CCJA doit se déclarer incompétente ».
 

C’était une stratégie audacieuse que d’invoquer l’incompétence de la CCJA sur une question sur laquelle elle s’est si souvent prononcée par le passé, d’autant que la jurisprudence antérieure de la Cour était plutôt favorable au défendeur.

 
De son côté, le demandeur ne contestait pas la compétence de Cour (fort heureusement puisque c’est lui qui l’a saisi). Il estimait cependant que celle-ci devait se prononcer au regard des critères de qualification de société mixte posés par le droit national congolais : « s’il est vrai que la jurisprudence de la CCJA va dans le sens d’accorder l’immunité d’exécution aux personnes morales de droit public et aux entreprises publiques, il n’en demeure pas moins que la définition du concept d’entreprise publique relève du droit interne de chaque État-partie ; qu’ainsi, en République démocratique du Congo, l’article 3 de la loi n°18/10 du 07 juillet 2008 énonce que celle-ci s’entend de toute « entreprise du portefeuille de l’État dans laquelle l’État ou toute autre personne morale de droit public détient la totalité ou la majorité absolue des actions ou parts sociales ».
 
C’est donc en jouant subtilement, non plus sur l’admission de l’« entreprise publique » au bénéfice de l’article 30, mais sur le type société entrant dans la catégorie d’entreprise publique qu’il entendait rallier la Cour à sa cause. D’après le demandeur, « lorsque la participation de l’État et de ses démembrements dans l’entreprise est en deçà de la majorité absolue, il s’agit d’un simple placement financier n’entraînant aucun privilège d’exécution ». C’était le cas en l’espèce, l’État du Congo ne détenant que 47 % des actions de la Société des Grands hôtels, le reste étant détenu à hauteur de 3 % par d’autres entités publiques et 50 % par des personnes privées.
 
La CCJA rejette cet argument tiré de l’exception d’incompétence aux motifs que « l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution n’ayant nullement renvoyé au droit national la question de la détermination des personnes bénéficiaires de l’immunité d’exécution, comme il l’a fait pour les biens insaisissables, celle-ci entre dans la compétence » de la CCJA.
 
Le rejet de la Cour n’est pas surprenant car contrairement à l’article 51 de l’AUPSRVE qui renvoyait expressément au droit des États parties, rien dans l’article 30 de l’AUPSRVE ne permettait déduire l’intention du législateur de procéder à un renvoie aux droits nationaux (AUPSRVE, art. 51 : « Les biens et droits insaisissables sont définis par chacun des États parties »).
 

D’autre part, pour la haute juridiction, l’article 30 de l’AUPSRVE pose des critères d’identification suffisamment précis pour permettre au juge OHADA de déterminer le type de sociétés ou d’entreprises relevant de son statut.

 
Sur la seconde question, la Cour commence, comme elle l’avait souvent fait dans ses précédentes décisions, en rappelant que « l’article 30 de l’Acte uniforme susvisé pose, en son alinéa 1er, le principe général de l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public et en atténue les conséquences à l’alinéa 2, à travers le procédé de la compensation des dettes qui s’applique aux personnes morales de droit public et aux entreprises publiques ». Elle déduit ensuite du fait que le débiteur poursuivi soit une société anonyme dont le capital social est détenu à parts égales par des personnes privées et par l'État du Congo et ses démembrements, « qu’une telle société étant d’économie mixte, et demeure une entité de droit privé soumise comme telle aux voies d’exécution sur ses biens propres ; qu’en lui accordant l’immunité d’exécution prescrite à l’article 30 susmentionné, la Cour de Kinshasa/Gombe a fait une mauvaise application de la loi et expose sa décision à la cassation ».
 
Il semble que la Cour ne retienne pas ici la distinction que lui proposait de faire la doctrine entre « entreprises publiques de droit privé » et « entreprises publiques de droit public » (v. sur la distinction, Sawadogo M. F., La question de la saisissabilité ou de l'insaisissabilité des biens des entreprises publiques en droit OHADA, op. cit.). Pour elle, les critères fondamentaux qui confèrent ou non l'immunité d'exécution prévue à l'article 30 de l'AUPSRVE à une personne morale sont la nature l’activité de la personne morale et sa forme sociétale adoptée (Boumakani B., Les entreprises publiques à l’épreuve du droit OHADA, RLDA 2014/75). Ces critères doivent être pris cumulativement.
 
Il en résulte qu’aucune société ne peut être à la fois société anonyme et personne morale de droit public. Dès lors qu'elle exerce son activité sous une forme sociétale prévue par l'Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales (AUSCGIE), la personne morale a le statut de société « de droit privé » soumise comme telle aux voies d'exécution sur ses biens propres. De ce fait, elle entre naturellement dans le champ d'application du Livre VI du Code de commerce, relatif aux difficultés des entreprises.
 

Le choix de se placer sous le régime de droit privé est un choix délibéré qui emporte des conséquences.


L’État choisit de laisser entrer dans le capital d’une société qu’il détient, des investisseurs privés, ou inversement, il choisit de devenir actionnaire d’une société de droit privé. Ce choix est souvent stratégique puisque l’État disposait de la possibilité de nationaliser la société concernée. En y renonçant, il renonce par la même occasion, à placer ladite société sous le régime de droit public, ceci afin de ne pas fausser les règles de la libre concurrence.
 
Cet objectif de compétitivité est clairement visé par la loi togolaise n° 90/26 du 4 décembre 1990 portant réforme du cadre institutionnel et juridique des entreprises publiques mise en cause dans l’arrêt Togo Telecom. Son article 2, soustrait les entreprises publiques du régime de droit public, pour les soumettre au droit privé.
 

Le moins qu’on puisse dire est que l’arrêt du 26 avril 2018 modifie substantiellement le régime de l'immunité d'exécution dans l'espace géographique de l'OHADA.


Le revirement de jurisprudence qu’il opère a pour conséquence de recadrer la jurisprudence des États parties et d'assainir l'environnement juridique au sein de la zone OHADA. Désormais, il faut s’attendre à ce que ces dernières retiennent que le seul fait qu’une société soit investie d’une mission de service public et que l’État ait une participation dans son capital ne change en rien son statut de droit privé, dès lors qu’aucun texte ne dispose qu’elle est une entreprise publique (CA Abidjan, n° 283, 1er mars 2002, GESTOCI, SA c/DA, Ohadata J-03-314, v. Ohadata J-04-93).
 
On peut toutefois hésiter sur le régime applicable aux entreprises publiques de droit privé dont le capital est détenu intégralement ou à plus des ¾ par l’État et ses démembrements. C’est sur cet élément qu’était motivé l’arrêt de la CCJA du 18 mars 2016 (CCJA, 1re ch., n° 044/2016, 18 mars 2016). D’un autre côté, et comme le fait si bien remarquer un auteur, il semble cohérent que l’option pour une forme privée emporte application du droit privé et donc des voies d’exécution (Fotso E. Douglas, À Propos de CCJA, 3e ch., n° 103/2018, 26 avr. 2018, https://www.legiafrica.com/actualite/9158-evolution-de-la-jurisprudence-de-la-ccja-sur-l-immunite-d-execution).
 
Contrairement à la jurisprudence antérieure, l’arrêt du 26 avril fait une interprétation restrictive de l’article 30 de l’AUPSRVE. Ce revirement a le mérite de redonner de l’intérêt à la société d’économie mixte et de rassurer les investisseurs. Par cet arrêt, la CCJA « envoie un signal très rassurant pour l'investissement » (Kodo M. J. V., Évolution de la jurisprudence de la Cour commune de justice et d'arbitrage de l'OHADA en matière d'immunité d'exécution, commentaire sous CCJA, 3e ch., n° 103/2018, 26 avr. 2018). Il est d’ailleurs bien accueilli, tant par la pratique que la doctrine, ainsi que nous avons eu l’occasion de nous en apercevoir en effectuant un tour d’horizon de certains forums de discussion de droit OHADA.

Ouvrez vos placards. Il est temps de ressortir les décisions que vous détenez contre des sociétés d'économie mixte !
Source : Actualités du droit