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De la qualification de dirigeant apparent pour une direction marketing

Afrique - Ohada
27/06/2018
La société est engagée lorsqu’en vertu de la théorie de l’autorité apparente, le tiers a légitimement cru que son interlocuteur dispose de tous les pouvoirs nécessaires. Les explications du professeur Bréhima KAMÉNA, agrégé des facultés de droit, Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB), Directeur du groupe de recherches appliquées antenne Lascaux (GRAAL).
Dans cette affaire, la requérante reprochait à l’arrêt attaqué, d’une part, la violation des articles 121 et 122 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSCGIE) du 17 avril 1997 et, d’autre part, des articles 415 et 494 du même acte uniforme, en ce qu’il l’a condamnée à payer la somme de vingt millions FCFA à un créancier, considérant que la lettre adressée à celui-ci par la direction marketing de sa succursale au Togo équivaut à une reconnaissance pure et simple de sa responsabilité. Or selon elle, de la lecture combinée des quatre articles précités, il résulte qu’une société, de surcroît anonyme, ne peut être engagée que par les actes passés par ses dirigeants qui sont les organes de gestion, de direction et d’administration et que la direction marketing ne peut donc pas l’engager à l’égard des tiers par ses actes, quelle que soit leur nature.
 
Cette affaire soulève le problème juridique suivant : dans quelle mesure la société peut-elle être engagée à l’égard des tiers par une personne autre que ses dirigeants ?
 
La CCJA a rejeté le pourvoi, jugeant que la société est engagée lorsqu’en vertu de la théorie de l’autorité apparente, le tiers a légitimement cru que son interlocuteur dispose de tous les pouvoirs nécessaires.
 
Appliquée principalement en matière de mandat, la théorie de l’apparence a été consacrée par la jurisprudence (CCJA, 2e ch., 27 juill. 2017, n° 185/2017, L’Essentiel Droits africains des affaires, n° 1, 2018, p. 3, obs. Kaména B. ; CCJA, 2e ch., 27 juill. 2017, n° 187/2017, Actualités du droit, 5 févr. 2018, Bail à usage professionnel et bail emphytéotique, obs. Kaména B. ; v. en France : Cass. ass. plén., 13 déc. 1962, n° 57-11.567, JCP G, 1963, II, n° 13605). Elle vise à assurer la sécurité des transactions et la protection des tiers de bonne foi, trompés par une apparence (v. spéc. Rabagny A., Théorie générale de l'apparence en droit privé, thèse, Frison-Roche M.-A. (dir.), 2004, ANRT).
 
Le mandat apparent a pour effet d’obliger le mandant, même en l'absence d'une faute susceptible de lui être reprochée, à exécuter les engagements pris envers les tiers par le mandataire apparent. La jurisprudence précitée exige généralement la réunion de trois conditions : une compétence apparente de la représentation du mandataire ; cette apparence doit être le fait du mandant ; le tiers doit être de bonne foi (il ne doit pas avoir connu la réalité).
 
Pour caractériser l’apparence et la bonne foi du tiers, la CCJA relève, à la suite des juges d’appel, que lorsque la direction marketing de la requérante a « regretté par écrit les désagréments », « présenté les excuses » en son nom et « fait des offres de réparations » qui engagent ses ressources financières, il n’apparaissait nulle part dans les pièces du dossier de la procédure, que ses dirigeants sociaux « aient remis en cause, de quelque manière que ce soit, les actes » ainsi accomplis. La CCJA ajoute que dans ces circonstances, il y a lieu d’affirmer que la requérante « a agréé les actes posés par sa direction marketing à Lomé, qui a agi en son nom, d’autant que ces actes entrent dans l’objet de la société et que la direction marketing a eu pour but de servir les intérêts de ladite société en ménageant son client ».
 
Le raisonnement de la CCJA fait ressortir les éléments caractéristiques de la théorie de l’apparence et emporte, par conséquent, la conviction. Par cet arrêt, la CCJA confirme sa jurisprudence antérieure précitée.
 
Consacrée sous l’empire de l’ancien AUSCGIE, la jurisprudence de la CCJA relative au dirigeant apparent conserve sa portée sous l’empire de l’AUSCGIE du 30 janvier 2014. Celui-ci, en effet, ne la remet pas en cause.
Source : Actualités du droit